Le vélo militaire et la trottinette, Savièse 1952 Repérage

1 juillet 1952
Savièse
Monique Ekelof-Gapany
Monique Ekelof-Gapany

Papa projette d'installer son salon de coiffure à Granois, avec le plan suivant : pour lancer son commerce, il ouvrira le salon en soirée, après 17 heures et jusqu'à 22 heures. En été, les Saviésans travaillent dans les vignes. Au coucher du soleil, ils peuvent ainsi passer chez le coiffeur pour une coupe de cheveux ou une barbe. Tous les soirs de l'été 1952, Papa confie le salon de coiffure de la rue du Rhône à Sion à la garde de son ouvrier Livio qui assurera la fermeture. Lui-même monte à Granois avec le bus de Savièse. Mais pour le retour à Sion, il n'y a pas de moyen de transport. Papa pense alors rentrer avec son vieux vélo militaire... malheureusement, celui-ci n'est pas accepté dans le bus.

C'est là que Papa nous associe à son entreprise, mon frère Jean, 9 ans 1/2 et moi, 8 ans. Toutes les fins d'après-midi de l'été, vers cinq heures, nous avons mission de grimper jusqu'à Granois, poussant le lourd vélo militaire, pour le remettre à papa et nous en retourner tous les deux sur la trottinette, jusqu' à Sion. Ainsi Papa pourra redescendre le soir à vélo, après la fermeture du salon.

Qu'il fait chaud dans les vignes du coteau de Savièse, en juillet!

Jean répartit la tâche. « Tu pousses le vélo jusqu'à Ormône et moi, la trottinette, puis on fait l'échange, je prendrai le vélo jusqu'à Granois ».

A moi, le vélo dans l'escarpement des raidillons! A lui, le vélo sur le plateau vallonné de Savièse ! Bon, je n'ai pas grand choix. La corvée est là, devant moi et je pense: plus tôt commencée, plus tôt terminée. Qu' il est lourd ce vélo que je pousse et qui ressaute sur les cailloux du sentier. Ma tête ne dépasse pas le cadre de l'engin monstrueux et je dois tendre les bras pour atteindre le guidon. La fraîcheur de la piscine que nous avons quittée il y a à peine une heure n'est qu'un lointain mirage. Après une bonne heure de marche, nous arrivons au but, le salon de coiffure. Papa, satisfait, nous voit arriver, Jean poussant le gros vélo et moi, la trottinette.

Après un verre de grenadine, nous repartons pour la maison, juchés tous deux sur ma fidèle trottinette. Pour la descente, nous ne repasserons pas par le chemin des vignes, mais par la route. Les voitures sont rares et les chars, tirés par des mulets, sont rentrés à cette heure. La route est à nous ! Je suis installée à l'avant, cramponnée au guidon et Jean, le capitaine, est à l'arrière. C'est lui qui pilote l'engin et qui saute, quand il le faut, sur le frein, une langue métallique placée sur la roue arrière. Nous passons en virevoltant sur la route sinueuse. A Saint-Germain, le chef-lieu, les gens du village nous observent de loin, ébahis. A la fontaine, une vieille paysanne en costume traditionnel fait le signe de croix lorsque nous passons en trombe. Encore quelques contours majestueux sur ce Haut-Plateau puis nous amorçons la descente vertigineuse sur Sion. Par moment, Jean se tient debout sur le frein puis déclare:

-« ça chauffe trop, il faut arrêter ! »

En contrebas de la route coule le bisse. Mon grand frère trempe alors la roue arrière de la trottinette dans l'eau fraîche puis nous continuons, à grande vitesse, jusqu'à la maison où nous arrivons pour le souper.

Extrait de

"Enfants du Rhône"

Monique Ekelof-Gapany

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