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Robert SCHUMANN, Symphonie no 3, OSR, Georg SOLTI, 4 février 1959

4 février 1959
RSR pour l'audio, R.Gagnaux resp. sources référenciées pour texte et images
RSR pour l'audio, R.Gagnaux resp. sources référenciées pour texte et images

La troisième symphonie de Robert Schumann est chronologiquement sa dernière, la composition de sa quatrième symphonie ayant débuté en 1841 déjà. Sa composition s'étala sur un bon mois, d'après le carnet de Robert Schumann du 7 novembre au 9 décembre 1850, donc pendant sa période de chef d'orchestre et de choeur à Düsseldorf; cette symphonie est surnommée „Rhénane“ - avec toutes les connotations icono­gra­phiques que cela implique - mais ce n'est pas Schumann qui l'intitula ainsi (*). Elle fut donnée en première audition le 6 février 1851 lors du sixième concert de l'«Allgemeine Musikverein» au «Geislersche Saal» de Düsseldorf, sous la direction du compositeur: l'oeuvre reçut un accueil triomphal.

[*] Robert Schumann avait certes d'abord projeté de la sous-titrer „Épisode d'une vie sur les bords du Rhin“, mais renonça ensuite à tous sous-titres et demanda explicitement à son éditeur Simrock d'omettre toutes mentions descriptives dans la première édition de l'oeuvre. Le surnom „Rhénane“ lui fut donné par Wilhelm Joseph von Wasielewski. "[...] Lorsque ce dernier affirme que la symphonie fut inspirée à Schumann par la vue de la cathédrale de Cologne ou par les cérémonies qui y eurent lieu, le 12 novembre 1850, autrement dit, alors que sa composition avait déjà commencée, à l'occasion de l'élévation de l'archevêque de Cologne von Geissel au rang de cardinal, il a à la fois raison et tort.

Raison dans la mesure où Schumann s'était rendu, à Cologne, le 6 novembre, avec Clara, pour les besoins d'un concert, et avait pu voir pour la deuxième fois de sa vie cette cathédrale dont l'achèvement venait de débuter. Cet édifice imposant et inachevé, incarnation de l'unité culturelle allemande - l'unité politique dont beaucoup rêvaient n'était pas encore envisageable - semble avoir fortement impressionné le compositeur, et plus encore d'ailleurs lors de sa première visite effectuée le 29 septembre, cinq semaines auparavant.

René Gagnaux
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1895
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Le dernier thème de Schumann, Lithographie de Fantin-Latour - C. Ruckert & Cie, Paris, 1904

Il est certain, en revanche que Schumann n'était pas à Cologne lors de l'élévation de l'archevêque au rang de cardinal, le 12 novembre. [...] L'on sait, en effet, que le compositeur se trouvait, ce jour-là, à Düsseldorf, quelque peu «indisposé». De toute façon, Schumann apporta toujours un démenti catégorique à l'idée selon laquelle des oeuvres lui auraient été directement inspirées par des événements vécus. [...]" cité des notes de Joachim Draheim, traduction de Sophie Liwszyc, publiées en 2010 dans le livret du CD cpo 777 536-2.

La structure de la 3e symphonie est inhabituelle, comprenant 5 mouvements avec deux mouvements lents. "[...] Il y eut d'autres symphonies en cinq mouvements avant la Troisième de Schumann, mais cette partition explore des possibilités nouvelles et importantes de cette forme. Fondamentalement, cette oeuvre est un triptyque dont les deux premiers et les deux derniers mouvements forment des tandems reliés entre eux par des échos thématiques et des idées communes. [...] Les innovations de Schumann devaient exercer une influence décisive sur Gustav Mahler qui utilisa ce schéma presque à l'identique dans sa Cinquième Symphonie.[...]" Kenneth Woods (**)

René Gagnaux
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1840
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Robert Schumann vers 1840, donc une dizaine d'années avant la composition de cette symphonie, lithographie de Josef Kriehuber, extrait Date d'édition: 1840. Droits: domaine public. Identifiant: ark:/12148/btv1b84248560. Source: Bibliothèque nationale de France. Notice du catalogue. Notice de recueil. Photo, original.

Une courte description, également citée des notes de Kenneth Woods (**):

"[...] Le Lebhaft initial est à 3/4 comme le Scherzo, et, à nouveau, tout les thèmes commencent par un intervalle de quarte, ascendant, cette fois, et non descendant. [...] Le Scherzo [...] débute à la façon d'un Ländler et semble apporter un peu de répit et de légèreté après l'héroïsme du premier mouvement, mais après le Trio de facture sophistiquée, l'énergie qu'il déploie est aussi puissante que dans le Lebhaft, ce qui débouche sur le point culminant de la première partie de la symphonie. Puis tout s'apaise et le premier volet du triptyque s'achève sur une note énigmatique et raffinée.

Le troisième mouvement est un charmant intermezzo. Schumann nous emmène dans un monde qu'il connaissait sans doute mieux qu'aucun autre compositeur - un univers en miniature où l'innocence, l'élégance et le raffinement rencontrent l'imaginaire et la profondeur. Fait révélateur, c'est le seul mouvement de la symphonie dans lequel la quarte ne joue pas de rôle significatif. Ici, c'est une sixte ascendante qui sert de base au matériel thématique, à une seule mais notable exception: juste avant la fin du mouvement, le cor solo joue la première quarte thématique rencontrée au tout début de la partition, mais à l'envers (si bémol - mi bémol) - présage menaçant du mouvement suivant. Il faut peut- être y voir la façon discrète, pour Schumann, de nous rappeler qu'il n'est de rêve, si délicieux soit-il, qui ne dure éternellement.

Le dernier volet du triptyque de Schumann débute par l'un des plus remarquables et des plus originaux de tous les mouvements lents de symphonie. Il porte l'indication Feierlich (solennellement). Des recherches ont révélé que l'anecdote selon laquelle ce mouvement dépeindrait l'investiture d'un cardinal à la Cathédrale de Cologne n'est qu'une légende. La véritable histoire réside dans la musique. La tonalité choisie par Schumann est éloquente dans la mesure où mi bémol mineur revêtait une signification particulière pour le compositeur qui l'avait déjà utilisée pour évoquer le désespoir et le désir de mort de Manfred dans son adaptation, l'année précédente, du poème de Byron. Pour Schumann, cette tonalité est un passage qui conduit dans les abysses de ses propres cauchemars. Écrit dans un austère style contrapuntique et d'une sévérité implacable, le mouvement est entièrement bâti sur le thème initial entendu au trombone et au cor - une série de quartes ascendantes qui débute par une inversion des deux premières notes de la symphonie: si bémol-mi bémol.

Le Finale, marqué Lebhaft, est le reflet, dans un miroir, du Feierlich. Le thème principal énonce à nouveau la quarte ascendante, mais cette fois sous la forme d'un chromatisme de si bémol à mi bémol suivi par une quarte descendante - les deux premières notes de la symphonie. De façon imperceptible au début, il rassemble tous les éléments de l'oeuvre entière. À plusieurs reprises, il convoque à nouveau les motifs du Feierlich, désormais délestés de leur solennité et de leur souffrance. Ce qui, autrefois, était intolérablement sombre est à présent insouciant et plein d'humour. Tandis que survient la coda, les cuivres citent à nouveau le début du quatrième mouvement, mais en majeur, et c'est de façon triomphante, rapide et fortissimo que la symphonie s'achève en une flamboyante affirmation. [...]"

[**] cité des notes de Kenneth Woods, traduction de Baudime Jam, publiées en 2011 dans le livret du CD Avie AV 2230.

René Gagnaux
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1959
Solti-Georg__Radio-TV-Je-vois-tout_1959-1960

Georg Solti, photos publiées - entre autres - dans la revue Radio TV Je vois tout en 1959 et 1960

Au programme de ce concert du 4 février 1959, donné dans le Victoria Hall de Genève et retransmis en direct sur l'émetteur de Sottens dans le cadre du traditionnel concert du mercredi soir:

René Gagnaux
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4 février 1959
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Le concert fut abondamment commenté dans la presse romande, qui ne fut toutefois pas vraiment enthousiasmée par l'interprétation de la symphonie de Schumann. Voici par exemple ce qu'écrivait Henri Jaton dans la Tribune de Lausanne du 6 janvier 1959, en page 3:

"[...] Plusieurs raisons expliquent notre déconvenue: tout d'abord, la constitution d'un programme qui ne convenait que partiellement à l'interprète principal, Georg Solti, maître du podium ce soir-là; [...]

L'ordonnance du programme, ai-je dit, intervenait également dans les motifs de notre déception. Oui, sans doute: car, si la Suite de Danses de Bela Bartok trouva auprès de Georg Solti un commentateur idéal, qui sut mettre en pleine valeur le monde de contrastes, de timbres et de couleurs dont l'oeuvre fourmille, la IIIe Symphonie en mi bémol de Robert Schumann ne fournit guère au distingué chef hongrois prétexte à réaliser une aussi parfaite réussite.

Il me semble qu'il s'agissait là avant tout d'un manque de coordination entre l'esprit de l'ouvrage et le tempérament de son interprète. Sans doute, me rétorqueront certains auditeurs de ce 8e concert, Georg Solti souligna à merveille l'exubérance sonore qui éclate dès les premières mesures de la Symphonie et dans la manifestation de laquelle bois et cuivres s'en donnent à coeur joie et jouent un rôle prépondérant.

Mais l'authentique inspiration de Robert Schumann n'est nullement enclose uniquement dans ces témoignages de véhémences et d'éclat: offrant un judicieux contraste à des instants de débordement sonore, il est, dans la IIIe Symphonie, de multiples séquences qui ne relèvent que de l'ordre sensible et poétique, et dont on aurait désiré que Georg Solti nous en ménage plus généreusement la découverte.

Pour une nature visiblement aussi ardente et passionnée que celle de Georg Solti, il est compréhensible qu'il se soit laissé entraîner par cette manière d'épopée de panache et de bravoure que représente la Symphonie Rhénane, mais dans laquelle toutefois «un poète parle...» qu'il faut savoir écouter... Je sais, par ailleurs, que la IIIe Symphonie en mi bémol propose au chef qui en conduit l'exécution, de redoutables problèmes d'équilibre et de sonorité. Davantage encore que dans ses autres symphonies Schumann avoue tout au long de sa Symphonie Rhénane, tout ce que sa formation d'orchestrateur comporte de génial sans doute, mais aussi d'intuitif et d'irraisonné. Certaines superpositions des cuivres comme aussi les motifs mélodiques qui leur sont fréquemment confiés, réclament du conducteur de l'ensemble orchestral une maîtrise exceptionnelle dans l'art de ménager les progressions et d'estomper les débordements sonores que ce genre de musique risque de provoquer. Par une comparaison apparemment contradictoire, il me semble que c'est dans le répertoire classique que Georg Solti doit trouver son terrain d'action le plus favorable, témoin cette magistrale interprétation qu'il nous offrit de la 5e Symphonie, de Beethoven, lors du dernier Septembre musical de Montreux, et dont le souvenir demeure encore dans la mémoire de chacun.

Toutefois, si la présentation de la Symphonie Rhénane m'a paru susciter les réserves que je viens de mentionner, il ne faudrait point conclure qu'elle ait été dépourvue d'intérêt. Tout au contraire, je suis bien persuadé que de nombreux mélomanes furent sensibles à l'élan chaleureux et passionné que Georg Solti manifesta dans un exposé que l'on aurait désiré cédant davantage parfois à la rêverie et au charme...

Et finalement, ce sont bien les Danses, de Bela Bartok qui nous procurèrent le meilleur moment du concert, tant Georg Solti apporta à leur exécution toute la vitalité et la vigueur rythmique désirables. [...]"

À chacun(e) de se faire soi-même son opinion:

Robert Schumann, Symphonie no 3 en mi bémol majeur, Op. 97, Orchestre de la Suisse Romande, Georg Solti, 4 février 1959, 8e concert de l'abonnement, Victoria Hall

  1. Vivace «Lebhaft» 09:15 (-> 09:15)
  2. Scherzo: Molto moderato «Sehr mässig» 06:26 (-> 15:41)
  3. Andante: Non troppo vivo «Nicht schnell» 04:34 (-> 20:15)
  4. Maestoso «Feierlich» 05:23 (-> 25:38)
  5. Finale: Vivace «Lebhaft» 05:37 (-> 31:15)

Provenance: Radiodiffusion, archives RSR

À noter que les applaudissements de la fin furent brutalement coupés - on entend juste les premiers „clap-clap“ sur la fin de la symphonie: à cette époque, il était hélas souvent habituel de ne conserver l'enregistrement qu'en coupant les applaudissements - c'est pourquoi l'enregistrement se termine un peu abruptement.

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René Gagnaux
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17 mars 2020
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