Burtigny avant 1943

1 janvier 1943
Albert Roulier
Claude Kissling

BURTIGNY avant 1943

Ce village est situé à l’altitude moyenne de 740 mètres, sur le plateau qui s’étend du haut du vignoble de La Côte jusqu’au pied du Jura. Il a construit ses belles fermes des deux côtés de la route qui mène à Nyon à la Vallée de Joux, à 4 kilomètres de la station de Begnins (chemin de fer électrique Gland-Begnins). « Vastes maisons, écrit Albert Thomas, qui fut ministre de l’aménagement de 1915 à 1917, directeur du Bureau international du travail dès 1920 et qui fit plusieurs séjours à Burtigny-vastes maisons, aux flancs énormes, tournant souvent vers la rue leurs murailles sans fenêtres, échelonnant leurs façades de cour en cour. Sous son unique toit, chacune d’elles couvre et enferme toute la vie d’un foyer rural : habitation familiale, hangars, étables, tout se tient. Avec des arts différents, c’est de semblables et fortes maisons que sont fait tous les villages des marches de l’Est, depuis l’Alsace jusqu’aux Alpes… »

Tout le village a un air de force qui rassure. Quand on vient de Marchissy, il oppose le flanc de ses dernières maisons comme un rempart. De la forêt, vers Gimel, on le voit, au contraire, répandre paisiblement, comme une longue traîne, la ligne de ses maisons. »

Voici une éminence, un peu en avant du village quand on arrive sur la route de Rolle, l’église avec le cimetière, la cure et le vieux tilleul, gloire de Burtigny. Moins gros que celui du village voisin de Marchissy, il n’en mesure pas moins, à un mètre du sol. 8 m. 14 de circonférence ; le tronc est haut de 3 m.05 et il recouvre de ses branches un espace circulaire de 22 mètres. On lui donne cinq à six siècles d’âge, ce qui ne l’empêche pas de manifester une vigueur, une vitalité peu commune. On se demande au village, quand ce magnifique spécimen de nos arbres d’ornement cessera de croître…

L’église, restaurée avec goût, en 1930, par MM. Gillard et Godet, architectes, est fort avenante avec son clocher aux jolies baies romanes, sa nef voûtée, en bois clair, la grande composition décorative du peintre lausannois Gaeng, au-dessus de l’entrée du chœur, le beau vitrail du fond, dû à René Martin, de Perroy (Le Christ sortant du tombeau), les lustres en fer forgé.

Elle est certainement plus accueillante, telle que l’on voulue les autorités de la population de Burtigny d’aujourd’hui, qu’au temps-pas très lointain-où l’église, comme beaucoup d’autres pays vaudois, ne possédait aucun moyen de chauffage. Et il fait froid à Burtigny, quand la bise balaye le haut plateau ! Ce n’est en effet, qu’en 1850 que les autorités de celui de ce village et celui de Vaud, ou de Le Vaud, qui devaient contribuer aux frais des cultes, décidèrent, sur la proposition des deux régents, de placer un fourneau. Mais ce fourneau n’était certainement pas neuf, puisqu’il ne coûta que 9 fr.60 ! C’était un fourneau « de rencontre2. Il est vrai qu’il y avait compensation dans la longueur des tuyaux, pour lesquels on déboursa 33 francs.

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Puisque nous sommes en parler d’église et de cultes, rappelons ici que Théophile Calas, le pasteur des forçats », de Saint-Martin-de-Ré- la petite bourgade connue par son pénitencier, où les condamnés attendent leur transport à la Guyane- exerça le ministère à Burtigny de 1876 à 1883. Il avait gardé un grand attachement à notre pays et sa chère paroisse vaudoise. Il racontait combien il avait été touché quand la municipalité de Burtigny avait fait établir un pont neuf avec garde-fou sur la Serine, en lieu et place d’une simple planche où le ministre risquait sa vie chaque fois qu’il se rendait aux annexes de Bassins et de Le Vaud. « J’ai deux patries, disait-il, le canton de Vaud où j’ai appris à prêcher, à visiter les malades, à faire le catéchisme, à aimer et… à brasser la neige, et l’ile de Ré, parce qu’il y a mes forçats. »

Calas qui mourut à quatre-vingt-dix ans, (nonante ans) avait conservé dans son ancienne paroisse de nombreuses amitiés, et après plus de cinquante ans de séparation, il continuait d’échanger avec quelques-uns de ses paroissiens d’autrefois une fidèle correspondance. Il avait laissé un meilleur souvenir qu’un de ses prédécesseurs à Burtigny, le ministre Gex : La paroisse, fort étendue, comprenait alors (en 1645), outre Burtigny, Bassins, et Le Vaud, encore Longirod, Marchissy et Saint-George, qui en furent détachés en 167. Tandis que les gens de Marchissy se plaignent que le ministre Gex les a laissés quatre dimanches sans prêche, et une autre année, six mois, ceux de Burtigny réclament parce qu’il n’y a pas d’heure fixe pour les prières ; ils reprochent à leur pasteur « de se laisser emporter au vin et même à des jurements ». En effet, un dimanche qu’il revenait fatigué de Longirod, il maugréa « contre la vie du monde », ce qui lui valut une censure de ses collègues de la classe de Morges.

On sait que le pasteur Moreillon fonda à Burtigny l’orphelinat « La Maison », qui a célébré, le 16 juillet 1939, le quarantième anniversaire de sa création.

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Le territoire de Burtigny, qui touche à dix communes, comprend les belles forêts de sapins des Tattes et de Prévondavaux, source principale des revenus de la commune, qui eut ses « répartitions » jusqu’au début de la guerre mondiale, mais a dû, comme d’autres de la même contrée, instituer un impôt communal (1937).

C’est dan ces forêts que se trouvent des blocs erratiques remarquables, entre autres ces pierres à écuelles comme on en rencontre à Baulmes, à Mont-la-Ville, à Mies et ailleurs. Dans les forêts des Tattes, un de ses blocs, énorme, connu sous le nom de Pierre à Roland, a fourni le granit dont on a fait la tour du collège, celui-ci transformé en 1917, avec aménagement d’une grande salle ».

A la « Pierre Roland » se rattache une légende ; Roland, le neveu de Charlemagne, se trouvant un jour sur le sommet de la Dôle, voulut jouer aux palets, il prit deux de ces blocs de granit que les glaciers apportèrent jusqu’au Jura. Il lança le petit, qui devait lui servir de cible et qui alla tomber au pied de la montagne. Roland lance alors le gros palet, mais il manque le but. Furieux, il s’élance, et d’un seul bond atteint le bloc énorme. Il tire son épée Durandal et d’un coup fend le rocher jusqu`à la terre ! Dans la contrée, ajoute Juste Olivier, qui rapporte cette légende, on a remplacé Roland par Samson.

La route de Burtigny à Gimel, qui traverse le vallon boisé et sauvage de Prévondavaux, « le paradis des sapins » - offre à la sortie des bois, près de la Maison-Rouge, un très beau point de vue. Un autre plus remarquable encore et qui peut rivaliser avec celui du Signal de Bougy, est le Molard, sur la route de Burtigny-Gilly, seule voie de communication du premier de ces deux villages avec son propre district, celui de Rolle.

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Burtigny a sa chorale, la « Jeune Montagnarde », une « Abbaye » militaire et une seconde société de tir, les « Francs-Tireurs ».

Les armoiries de Burtigny sont : « de sinople, au chevron ondé et versé d’argent, à une pie-grièche en chef », pour parler le langage des héraldistes. Le fond de sinople représente les cultures (le village est agricole), les deux branches de chevron, les deux ruisseaux, la Serine et la Moteline, qui se rejoignent au bas du territoire communal. Quant à la pie-grièche, qui, sauf erreur, figurait déjà sur le drapeau de la plus ancienne des deux sociétés militaires, elle constitue une allusion au surnom des habitants de Burtigny : les Matagasses (nom patois des pies-grièches).

On raconte qu’ils étaient autrefois superstitieux comme tous ceux des campagnes (et aussi des villes…) et que le jour de la Sainte Bride (est-ce le 1er février ?), ils se refusaient à brider les chevaux et s’en servir… Ordre fut donné au ministre en 1649, de prêcher contre cette superstition, le dimanche précédant le dit jour. Inutile de dire que cette étrange coutume a disparu depuis longtemps.

Il ne reste qu’à souhaiter que les Matagasses vivent longtemps heureux dans leur village si avantageusement situé et si prospère.

Texte tiré du livre, sortant des presses de l'imprimerie Vaudoise, Lausanne en 1943 "Villages vaudois" par Albert Roulier.

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Claude Kissling
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29 août 2021
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