Rade de Genève gelée

Rade de Genève gelée

18 janvier 1891
Boissonnas photographe Genève
Yannik Plomb

Le premier souci de tout Genevois hier dimanche matin ce fut d'aller voir si le port était gelé. On prévoyait cet événement depuis samedi soir car la bise tomba subitement dans le milieu de la nuit pendant que la température baissait encore pour descendre jusqu'à 14 degrés centigrades. Les prévisions de chacun se réalisèrent ; à neuf heures et demie du matin la rade formait une vaste étendue de glace. A ce moment il restait encore un petit espace bleu entre les deux jetées ; à dix heures elle avait blanchi sous l'effet du froid toujours aussi vif.

Bien que l'on s'attendît très généralement à ce spectacle il n'en provoqua pas moins un très vif étonnement. Déjà à neuf heures du matin un jeune homme fit la traversée des Eaux Vives aux Pâquis. Il s'avança d'abord timidement bien timidement au départ de l'épuisoir ; puis voyant que « cela tenait » il s'approcha des pierres du Niton. Plein de sécurité alors il continua avec un certain courage sa périlleuse traversée longea le Jardin Anglais les deux débarcadères le pont du Mont-Blanc et arriva heureusement au quai du Léman. Un jeune garçon suivit cet exemple et dès le malin ce fut un envahissement : des dames d'âge mûr des jeunes filles de tout petits enfants et des vieillards tout le monde voulut traverser. Les plus craintifs s'arrêtèrent à la seconde pierre du Niton et retournèrent prudemment en arrière après en avoir fait l'escalade pour que ce soit dit. » Beaucoup de promeneurs traversèrent avec leurs chiens tout cela donnait à noire rade une animation extraordinaire. Au quai des Pâquis il était plus difficile de sortir qu'il ne l'était d'entrer aux Eaux Vives.

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Quai des Eaux-Vives J. Julien photographe Genève 1891

Il fallait monter par des échelles couvertes de glaçons ou encore escalader tant bien que mal le ponton de la Compagnie de navigation. Rien de plus amusant que ces tentatives d'escalades surtout quand elles étaient opérées par des jeunes filles. Il était bien intéressant aussi de suivre les pas de ceux et de celles qui avaient peur. Avec mille précautions ils passaient d'un glaçon sur l'autre ; les dames surtout faisaient preuve d'une charmante gaucherie. A dix heures et demie du matin deux courageux Eaux-Vives eurent l'idée originale de traverser en brouette l'un conduisant l'autre. Ils avaient lu dans la Tribune que cela s'était fait il y a plus d'un demi-siècle et voulaient renouveler l'expérience pour leur plus grande gloire personnelle au grand ébahissement de leurs contemporains. La promenade réussit entièrement. La matinée a été signalée par plusieurs accidents dont aucun cependant n'a présenté un caractère de gravité nous tenons à le dire tout de suite car le bruit a couru hier que plusieurs personnes s'étaient noyées. L'incident le plus important a eu lieu vers onze heures du matin devant le débarcadère de la côte suisse au Jardin anglais. Quatre personnes qui passaient là les unes presque serrées contre les autres sentirent tout à coup craquer la glace ; deux d'entre elles prirent un bain très froid mais elles purent être retirées immédiatement. Un jeune homme qui avait eu de l'eau jusqu'à la poitrine changea d'habits dans les bureaux de la Compagnie générale de navigation mais les autres « victimes » purent retourner à leur domicile. Il y eut en outre un grand nombre de « béchets » aux environs des pierres du Niton et du quai du Léman mais il n'y a rien de grave à signaler. Dès midi et demi la police a interdit la circulation dans la rade. Mais jusqu'aux environs de la nuit des milliers de promeneurs sont venus contempler ce curieux et rare spectacle. Ce matin le lac est gelé jusqu'aux bains Mermillod soit deux ou trois cents mètres au-delà de la jetée des Eaux-Vives.

La tribune de Genève, Volume 13, Numéro 15, 18 janvier 1891 Edition 04

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Yannik Plomb
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28 avril 2024
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