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Qui est donc ce chien saint-bernard et d'où vient-il ? Repérage

© Sylvie Bazzanella
Sylvie Bazzanella

Une race chargée d'histoire et de légendes.

Il se rapprocherait des beaux dogues du Tibet, précurseurs de tous les molosses actuels, par le pelage et la taille; le terme molosse décrivant les très gros chiens utilisés pour la garde et le combat et non une race particulière. Le type dogue dont descendraient tous les chiens molossoïdes montagnards, dont le saint-bernard, s'est développé graduellement au fil du temps, à partir de plusieurs lignées différentes et en divers endroits.

Il semble apparaître vers 2000 av. JC. en Assyrie, où il était utilisé pour la guerre et la garde des troupeaux qu'il défendait contre les lions. Il fut amené en Mésopotamie par la région d'Elam (Est du Tigre et au nord du Golfe Persique). Lorsque les Romains arrivèrent en Helvétie, dans les vallées des Alpes et des Préalpes, principalement par le col du Grand-Saint-Bernard, ils apportèrent leurs lourds molosses qui demeurèrent ainsi sur les cols puis dans les vallées d'Aoste et du Valais. Il est probable que le futur saint-bernard eut à subir dans ces contrées l'influence des mâtins locaux - bouviers suisses - qui ont contribué à un adoucissement des caractères molossoïdes du chien importé.

Pendant les siècles qui suivirent la guerre des Gaules, on ne trouve que peu de traces du saint-bernard ou de ses ancêtres. Ce n'est que vers 1350 que l'on trouve sa tête représentée dans les armoiries de quelques familles nobles de Hailigberg.

Dans ce qui reste des archives détruites en majeure partie lors du premier grand incendie de l'Hospice en 1554, la plus ancienne mention des chiens remonte à l'année 1708. Elle a été faite par le prieur Ballalu qui parle de l'animal comme « tourneur de broche» ! Cette activité n'était pas des moindres puisque l'hospice hébergeait de nombreux voyageurs qu'il fallait nourrir.

Il est certain que l'Hospice en possédait bien avant 1700. On sait aussi que les religieux importèrent des mastiffs anglais en 1667, puis vers la fin du 19ème siècle. L'espèce primitive qui vivait sur le col avant la construction de l'Hospice vers 1045-1050, attribuée à Bernard dit de Menthon archidiacre d'Aoste, était un chien énorme, à pattes fortes et massives, la tête grosse et les babines pendantes, le pelage d'un jaune ocreux plus ou moins foncé et un peu court, quoique très fourni.

Ces chiens étaient tout d'abord destinés à la garde et à la défense, le col étant infesté de brigands. Ils constituaient initialement une race utilitaire confiée à la garde des paysans et des bergers. Plus tard, ces prédécesseurs du saint-bernard furent utilisés pour accompagner les voyageurs et surtout pour retrouver et sauver ceux qui s'étaient égarés dans la neige et le brouillard.

Plusieurs races, alliant force, endurance et courage étaient alors employées par les religieux, notamment des mâtins italiens du Val d'Aoste. Ces animaux subissaient un dressage sévère dans le but d'accompagner les hospitaliers dans leurs courses quotidiennes à travers la montagne. Guidés par leur admirable instinct, ils ouvraient un passage dans la neige tombée, afin de rendre la voie plus facile aux hommes. La tâche essentielle des chiens qui a fait leur célébrité, était de tracer, et cela de nouveau à chaque nouvelle chute de neige, ce que l'on appelait le "pion" Ce pion était une tranchée dans la neige profonde, que les chiens devaient tracer, creuser et damer avec leurs pattes et tout leur corps, en marchant l'un derrière l'autre, les plus vigoureux en tête.

Les chiens qui avaient un flair exceptionnel, un sens de l'orientation très développé, repéraient les personnes égarées ainsi que les corps ensevelis sous la neige. Une force hors du commun leur permettait de« tracter» certains voyageurs épuisés. Il n'en demeure pas moins que nombre de ces bêtes ont péri de « mort blanche», victimes des avalanches.

Tous les chiens du Grand-Saint-Bernard n'étaient pas dressés à la trace de l'homme. Ils servaient aussi à transporter des vivres, principalement du lait et du beurre, à une lieue de l'Hospice (vacherie La Pierre). Dans les vallées on les utilisait donc comme animaux de trait. Ceux-ci étaient certainement moins lourds que leurs descendants actuels.

Les premiers témoignages écrits sur les sauvetages datent du début du 18e siècle. Plusieurs chroniques furent publiées en Europe sur les exploits de ces chiens, sauvant des voyageurs égarés dans la neige. Les récits de soldats de Bonaparte, lors du passage de son armée sur le col en 1800, ont accru leur renommée.

A la fin du 19e siècle, on retrouve le saint-bernard livrant le courrier des militaires (accompagnés de leur facteur) dans les forts briançonnais ou à la frontière italienne. Au milieu du 20e siècle, ils servent de guide aux militaires alpins de Bourg-Saint-Maurice ou dans les Alpes du Sud.

Au Saint-Bernard, la vie était une lutte constante contre les fatigues, les souffrances, les dangers naturels et les menaces des malfrats. Les chiens de l'Hospice rentraient souvent de leur mission les membres gelés. Tous étaient perclus de douleurs et très peu vivaient au-delà de huit ans. La plupart devenaient aveugles, du fait de la réverbération de la neige, cela malgré les « lunettes» spéciales que leur confectionnaient les chanoines.

Départ des voyageurs

Chaque meute se composait en moyenne de douze à quinze adultes. L'élevage se faisait dans la vallée parce que la température à l'altitude du couvent était trop basse pour les jeunes chiens. On les habituait donc petit à petit au froid.Cet animal a été le sujet de bien des théories. On l'a représenté tantôt comme une race pure d'origine inconnue, tantôt comme le produit d'un croisement de chiens de berger du Valais et d'une race pyrénéenne. D'autres croisements ont sans doute eu lieu. Il est d'ailleurs possible de reconstituer le type primitif par une sélection bien appliquée. Si le poil ras domine, la fourrure longue reparaît parfois. Le fameux Barry avait le pelage plutôt long, d'où peut-être le choix de son nom qui signifie « petit ours» en patois bernois.

Barry au Musée d'Histoire Naturelle à Berne

On peut donc affirmer que cette race célèbre s'est formée à l'Hospice, mais il y a fallu vraisemblablement des siècles. Décrire le chien tel qu'il était réellement tout au début de cette évolution, n'est pas aisé, voire impossible. Divers facteurs ont modifié ses formes extérieures, comme l'utilisation qui en était faite, le mode de sa domestication, le climat. Il est difficile de dire à partir de quelle époque les croisements ont été opérés. L'Hospice ne possède aucun document à ce sujet. Les Pères n'ont laissé que des témoignages oraux.

Au cours du 19e siècle, la meute des chiens de l'Hospice présentait en général un poil ras, manteau fauve clair, blanc et rouge, ou gris foncé, c'est-à-dire avec de fréquentes variations. Quelques-uns présentaient un poil long et une queue panachée.

Chien du St-Bernard

La couleur autour des yeux et sur les oreilles était d'une nuance plus sombre dans le rouge; au centre de la ligne blanche à l'occiput, on note une tache de couleur. On dit que ces marques particulières représentaient l'étole, la chasuble et le scapulaire, vêtements de cérémonie alors portés par les chanoines.

Exposée aux dangers naturels, aux épidémies ou encore à des problèmes de stérilité provenant de l'extrême consanguinité des sujets, il s'en est fallu de peu que cette race ne disparaisse.

En 1820, une épidémie détruisit presque entièrement le cheptel de l'Hospice. Les religieux durent reconstituer la race par des croisements avec des chiens de Léonberg, race analogue à celle des Pyrénées. Ils sélectionnèrent avec rigueur les critères qui les intéressaient.

En 1855, il ne restait qu'un seul couple dont les portées ne réussissaient pas. On fit appel aux chiens de l'Hospice du Simplon et du Petit-Saint-Bernard, mais tous les chiots avaient été vendus. Les chanoines utilisèrent des retrempes (apport de sang neuf) avec un autre molossoïde, le terre-neuve (landseer) dont ils reçurent un mâle et une femelle en provenance de Stuttgart. A partir de ce croisement d'avec le terre-neuve et probablement d'autres chiens, sont nés des chiots à poil long et d'autres à poil court. L'Hospice n'a gardé que les poils courts, les autres furent vendus. Les poils longs furent supprimés par la sélection; ils ne pouvaient servir pour le sauvetage, leur poil se couvrant de glace et les alourdissant.

Cependant, dans les vallées avoisinantes, les chiens à poil long avaient la préférence. Des éleveurs peu scrupuleux, ou inconscients, produisaient des chiens de type saint-bernard en effectuant divers croisements. On pratiquait un élevage qui abâtardissait la race.

Heureusement, un passionné, Heinrich Schumacher (1831-1903), boucher aubergiste de Holligen près de Berne, prit les choses en main et se consacra corps et âme à l'élevage en pratiquant une sélection poussée qui sauva la race. H. Schumacher parcourut la Suisse afin de sélectionner les chiens issus de l'Hospice. Son nom est demeuré indissociable de la race du saint-bernard. Lui est attribué le premier élevage en dehors de l'Hospice, de chiens de race bien typée. Il fut le premier à établir des documents généalogiques pour ses chiens.

En 1862, Schumacher a commencé à expédier des chiens en Angleterre, Russie et aux Etats-Unis. Les religieux de l'Hospice ont continué à produire des chiens comme ils l'avaient toujours fait, c'est-à-dire des chiens capables de sauver des vies dans la montagne.

Après avoir été dénommé chien de montagne, mastiff alpin, heilige hunde, chiens Barry, chiens du couvent, son nom de saint-bernard fut officialisé en 1880. Le livre des origines suisse fut ouvert en février 1884; on retrouve dans les premiers volumes la production de Schumacher sur laquelle s'appuyèrent de nombreux éleveurs suisses. Le premier chien à être inscrit dans ce registre national fut le saint-bernard «Léon». Les 28 inscriptions suivantes concernent également des saint bernard. Le club suisse du saint-bernard fut fondé à Bâle le 15 mars 1884. A l'occasion d'un congrès international de cynologie, le 2 juin 1887, le saint-bernard fut reconnu officiellement comme race d'origine suisse et le standard déclaré document faisant seul autorité. Depuis lors, le saint-bernard est considéré comme chien national suisse.

Les deux variétés se développèrent harmonieusement pour aboutir aux chiens que nous connaissons aujourd'hui.

Ces animaux courageux sont montrés par de nombreuses iconographies porteurs d'un petit tonneau d'alcool au cou. La première date de 1820. Si cet accessoire n'a jamais existé sous cette forme, il n'en demeure pas moins que les chiens de l'Hospice ont porté occasionnellement à leur cou, à différentes époques, de petites fioles garnies de réconfortants bien utiles en cas d'épuisement et d'engourdissement par le froid. Notamment lors du sauvetage, en 1949, d'ouvriers italiens qui tentaient de pénétrer clandestinement en France.

L'installation du téléphone en 1866 reliant l'Hospice au bas de la vallée vit la sécurité du passage améliorée et évita bien des accidents. L'usage du ski rendit leurs services moins souvent nécessaires, mais toujours appréciés. Les chiens furent soumis à un dressage moins sévère qu'auparavant.

Un sauvetage

Dès la fin du 19e siècle et au début du 20e, grâce à la construction des tunnels du Gothard et du Simplon, le nombre des voyageurs transitant par le Grand-Saint-Bernard diminua fortement.

Après la deuxième guerre mondiale, les chiens connurent cependant un magnifique renouveau. En 1950 le chenil de l'Hospice s'inscrit au Club suisse du saint-bernard, bénéficiant ainsi d'une meilleure sélection et obtient les pedigrees officiels de ce club.

Les saint-bernard ont poursuivi leur activité de samaritains jusqu'à la première décade du 20e siècle.

Les religieux considéraient un sauvetage comme l'accomplissement normal d'un devoir, nullement comme un acte héroïque. Ils n'ont laissé aucune trace écrite de ces exploits.

La devise de l'Hospice du Grand-Saint-Bernard illustre bien cette pratique et cette philosophie : FORTITER FIDELITER FELICITER

(Encore plus courageux, encore plus fidèle et donc encore plus heureux)

Sources :

Le Chien Magazine : Mars 1999 / Novembre 2006 - Presses Centrales Lausanne SA

Le saint-bernard / Catherine Nodiot ; sous la direction de Bernard Denis - Mémoire ou Thèse - France 1998

Contribution à l'étude historique du rameau des molosses : Le Saint-Bernard / Bernard Ribaucourt - Thèse de doctorat vétérinaire, Lyon [s.l.] 1973

L'homme et le chien dans l'univers, préface de M. Le major P. De Vallière - Editions Rinsoz, Lausanne 1945

Hommes et chiens du Grand-Saint-Bernard / Paul Achard - Les Editions de France, Paris 1937

Le monde des Alpes ou Description pittoresque des montagnes de la Suisse, et par Friederich von Tschudi, O. Bourrit - Imprimerie de Jules-Gme Fick, Genève 1858

Les races de chiens : histoire, origine, description / par Pierre Mégnin - Bureaux de l'Eleveur, Vincennes 1889-1891

La vie des animaux illustrée : description populaire du règne animal / A.E. Brehm ; ed. française par Z. Gerbe Lieu / Dates Paris : J.B. Baillière, [1868-1873]

Le chien par Eugène Gayot - Librairie de Firmin Didot Frères, Paris 1867

Une excursion au Grand Saint-Bernard : la route - l'hospice / Frédéric Régamey ; Paris : Libr. de Firmin-Didot, [1894]

Der Sankt Bernhards Hund / Heinrich Schumacher - Correspondance (1884)

Dogs and all about them / Robert Leighton [S.L.] : Cassell and Company LTD, 1914

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