Quand l’habit faisait le moine.
Mon grand-père Émile
Quand l’habit faisait le moine.
Le jour où Albert Cohen descendit du train la première fois à Genève en 1914, il fut très étonné de découvrir dans les rues de la ville des uniformes irréprochables. Selon ses propres mots, il fut « frappé en premier par les gendarmes et les facteurs… propres. On sentait qu’ils s’étaient baignés tous les jours des pieds à la tête » (rts.ch/archives/tv/culture/ent...). C’était un temps où les mœurs, en Suisse en tout cas, attachaient beaucoup d’importance au service public et à l’uniforme associé. Mon grand-père Émile, propre, baigné des pieds à la tête, portait fièrement son costume de postier. Casquette de premier lieutenant et étoiles de Général sur le col, il était très reconnaissant à l’État de lui avoir assuré, non seulement un travail, mais la considération qui allait avec. Considération qui l’avait aidé à aborder ma grand-mère. Considération à laquelle je dois peut-être ma propre existence. Habillé de la sorte, il ne pouvait qu’accorder une importance majeure à son travail. Or, un jour, à la centrale de Saint-François, il trouva, dans les missives non distribuées, une lettre qui ne portait qu’un nom « Herr H. Mueller » et une adresse « Ouchy, Suisse ». Au dos, aucune référence de l’expéditeur. Émile ouvrit le tiroir de son bureau et en sortit une loupe, le même modèle que celui de Sherlock Holmes. Il examina attentivement le timbre, et réussit à déterminer le jour, l’heure et la provenance de l’envoi. Il s’agissait d’un bureau de poste d’Innsbruck, au Tyrol. Fort de ce résultat, il descendit à Ouchy et se présenta à la réception de l’Hôtel d’Angleterre, au Beau-Rivage, puis au Château d’Ouchy. Monsieur H. Mueller était inconnu sur la place. Il rencontra un de ses amis, dont Lausanne était richement pourvu. Il l’invita à noyer son échec sur une terrasse en face du débarcadère. C’est sur cette terrasse, au moment de lever son verre de Saint-Saph, de louer le Seigneur pour ses bienfaits, de laisser glisser le petit Jésus en culottes de soie au fond de la gorge, qu’il aperçut un chapeau tyrolien. Une petite plume dépassait la foule de touristes qui débarquait du « Simplon ». Sans hésitation, il enfourcha son « moteur de recherche » propulsé à l’énergie musculaire, et s’arrêta devant le touriste. « Entschuldigung, Herr Mueller, Irr hab’ ein’ brief für Sie » fit Émile. Il maîtrisait l’Allemand avec un fort accent de Saint-Gall, qu’il avait quittée trente ans plus tôt. Il sortit le courrier classé « poche restante ». Herr Hans Mueller lui fit part de son grand étonnement. Il demanda si en Suisse le courrier était couramment apporté aux touristes, jusque dans la rue. Émile répondit qu’effectivement, à Lausanne, le service postal était à la pointe, qu’il n’était même pas nécessaire de préciser le destinataire. Le timbre sur l’enveloppe suffisait. Ravi de ce succès, il prit congé du touriste et rejoignit son ami qui était resté devant les trois décis. La poste de Saint-François, plus forte que Google ‼
merci pour ce sympathique tableau de votre grand-père, un vrai facteur de miracle, à la pointe d'un progrès qui ressemble à une étoile filante et semble être définitivement hors de portée
j'adore........vôtre sens de l'humour tout en racontant du vraiment vécu.........du vrai drôle en sérieux !