Conte de Noël : Un Noël au front ou l’inoubliable messe de minuit !
C’était la veille de Noël, il avait gelé dur pendant la nuit, et sur la neige qui recouvrait tout autour de nous, il y avait une couche de givre qui scintillait dans la clarté glaciale de ce matin de décembre. Puis le soleil se leva, et ses rayons pâles firent étinceler toute la campagne autour de nous. Ce spectacle était étrange et presque immatériel.
De notre tranchée nous pouvions voir derrière nous un petit village, ou plutôt ce qui restait d’un petit village. Des murs, des maisons sans toit dont les fenêtres semblaient autant d’yeux vides contemplant le morne paysage.
Seule se dressait presque entière l’église avec son clocher tronqué et son toit crevé.
C’était la veille de Noël, et de voir dans cette blancheur matinale, cette église mutilée, il montait en nous un secret désir de recueillement, je dirais même de prière.
De notre abri au fond de notre tranchée, où nous vivions terrés comme des rats, souvent, bien souvent nous avions regardé ce pauvre petit village, et nous avions rêvé de jours meilleurs qui redonneraient un aspect vivant à cette désolation.
Nous étions dans un secteur relativement calme qui, pour l’instant, n’était pas en première ligne, et nous vivions des heures mornes d’attente, à penser aux Noëls d’autrefois.
Un de nos camarades se prit à nous conter une messe de minuit dans son village : « Nous allions mes petits camarades et moi, avec nos sabots et nos lanternes, sous nos lourdes mantes de drap, à la messe de minuit. L’église était un peu en dehors du village et c’était chaque année une nouvelle joie de battre la neige ou le sol glacé pour aller nous agenouiller près de la crèche… »
A ces paroles, chacun de nous se revoyait enfant, dans une église, un soir de Noël, et nous avions la nostalgie de ces choses merveilleuses de l’enfance, de tous ces gestes faits autrefois au temps bienheureux de la paix. Plusieurs d’entre nous se mirent à soupirer.
Une messe de minuit, voilà ce que nous désirions tous sans se l’avouer…
De temps à autre, nous allions en patrouille vers le petit village, histoire de nous dégourdir les jambes.
Ce matin-là, plusieurs partirent faire ce qu’ils appelaient le tour du propriétaire.
Au retour, un de ces jeunes gaillards, qui pour se donner l’air féroce avait laissé pousser sa barbe – une jolie barbe blonde toute frisée, qui lui avait valu le surnom de « l’agneau » – ce jeune barbu donc entra dans l’abri avec un visage rayonnant et nous dit : « Ce soir, messe solennelle dans la petite église du village ; tout y est, il ne manque rien que le curé ! » Tous les yeux se tournèrent vers un camarade qui venait de crier : « Présent ! »
Nous nous étions bien douté un peu que ce jeune, tout jeune engagé volontaire était un homme de soutane. Lors d’une attaque en première ligne où il s’était montré d’une ardeur audacieuse, nous l’avions vu, après le combat, se baisser sur ceux qui ne devaient plus revenir, et tracer un signe bref.
Un camarade avait même laissé fuser dans un sourire : « Voilà un corbeau ! » Mais devant l’attitude si courageuse et si noble du jeune soldat, nulle autre plaisanterie n’avait été formulée.
Notre gaillard à barbe blonde, s’adressant au jeune prêtre qui allait poser des questions, lui dit : « Te fais pas de soucis ; il y a là-bas toute ta petite vaisselle et aussi une robe de dentelle et un manteau avec une croix dessus ; il y a même dans une petite boîte des petits ronds blancs que vous soulevez sur votre tête pendant la messe. » Le jeune prêtre avait souri à toute cette description et nous avait dit : « Ce soir, nous irons à l’église, si le temps le permet. »
Si le temps le permet ! Ah ! vous auriez ri si vous aviez pu voir le visage de stupeur de quelques-uns d’entre nous. Stupeur qui bientôt se changea en hilarité lorsque le prêtre ajouta : « …s’il ne pleut pas trop de marmites. » Il dit encore : « Je suis là à côté, si quelques-uns d’entre vous veulent me faire visite avant ce soir, je suis tout à leur disposition. »
La journée s’étira lentement, puis vint le soir. Un ciel sans lune mais criblé d’étoiles, comme si on avait tendu un immense baldaquin de soie bleue sombre rebrodée d’argent et de pierres précieuses. Un à un, nous sortîmes du boyau, nous dirigeant vers le village. Nous allions ainsi les uns derrière les autres sous la seule clarté des étoiles.
Dans le village que nous traversions, tout était ruine ; nos pas résonnaient sur les pierres éboulées, mais nous ne savions pas avoir cette inquiétude des jours passés. Tout était si calme, si serein qu’il semblait que l’univers entier se recueillait en ce soir de Noël.
Nous étions arrivés dans l’église après avoir franchi un amas de débris formé par une partie de la voûte. L’autel et quelques premiers bancs devant le chœur étaient intacts. A notre grande surprise, l’autel était éclairé par une magnifique rangée de cierges. Lequel de nous était donc venu avant les autres pour garnir l’autel ? Lesquels aussi s’étaient joints à nous ? Nous étions bien là plus d’une dizaine dans l’ombre, dont les visages s’illuminaient de temps à autre à la clarté tremblante des cierges. Mais qu’importait le nom de ceux qui avaient eu le désir de cette messe ?
Notre jeune camarade avait revêtu les habits de son ministère et montait à l’autel.
Comment vous dire ce qui se passa dans nos cœurs, comment vous exprimer ce que nos âmes éprouvèrent ce soir-là ? Rien ne pourra jamais dire le recueillement de cette heure passée dans cette église, ayant sur nos têtes le ciel constellé d’étoiles. Nous ne pensions plus à rien de ce qui torturait nos cœurs quelques jours plus tôt. Je crois que nous avions retrouvé nos âmes d’enfants pour laisser mieux s’imprégner en nous l’apaisante douceur du grand mystère de Noël.
Lorsque le prêtre éleva sur nous l’hostie divine, une mélodie monta dans l’air, douce, si douce, si prenante à la fois que, de saisissement, le geste de l’officiant se prolongea un instant.
Un violon chantait, priait avec une ferveur immense. Celui qui jouait était là contre un pilier, inconscient à tout ce qui n’était pas cette chose qui, dans sa main, vibrait comme un être vivant, un être qui a souffert, qui souffre encore, mais qui a consenti au suprême sacrifice. Puis le chant devint calme et doux comme un murmure et tout doucement s’éteignit, se fondit avec le silence qui de nouveau emplissait l’église.
Le ciel scintillait toujours sur nos têtes, et lorsque le prêtre traça dans l’espace sa bénédiction, toutes les têtes se courbèrent d’un même mouvement. Plusieurs d’entre nous s’approchèrent de l’autel et je crois bien que jamais depuis leur enfance leur recueillement n’avait été plus profond.
Puis nous sommes revenus dans la tranchée, sans parler, comme absents et lointains.
Voyant sous le bras de l’un de nous la longue boîte où reposait le violon, quelqu’un dit : « Tu nous joues quelque chose ? » Le jeune sergent qui portait l’instrument répondit : « Pas ce soir ! » et ce fut tout.
Quelques jours plus tard nous montions à l’attaque ; beaucoup ne revinrent jamais. Le jeune prêtre, le poilu à barbe blonde, le musicien et d’autres encore dorment là-bas, tout près du petit village reconstruit.
Je suis revenu la tourmente finie, mais jamais plus je n’ai éprouvé comme là-bas, la profonde sensation de la plénitude du mystère à l’instant où chacun de nous répétait le sacrifice accepté et le Fiat voluntas tua. Un silence suivit ces paroles, et celui qui m’avait conté ces émouvants instants de sa vie durant la Grande Guerre, courbait sa tête où les fils d’argent étaient nombreux. Puis, me regardant longuement, il ajouta : « Tous nous avions fait le grand sacrifice. Je suis revenu, mais aujourd’hui le sacrifice est plus lourd encore : mon fils est là-bas ! »
Que pouvais-je dire à cet homme qui si lourdement sentait peser à ses épaules le poids des heures que nous vivons, sinon l’assurance d’un même désir : Du monde entier, au soir de Noël, montera vers le ciel la même prière : « Seigneur, ayez pitié de votre peuple et donnez-lui la Paix!»
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