L'imagier de tante Louise Grezet

L'imagier de tante Louise Grezet

20 janvier 2013
Martine Desarzens
Martine Desarzens

Tante Louise était la soeur aînée de Charles Grezet, mon grand père maternel. Elle était ma grande tante, originaire du Val de Travers

En 1950, âgée de 7 ans, je découvrais une femme avec des cheveux blancs comme des petits nuages autour de son visage, elle avait déjà 80 ans et était presque aveugle, ce qui ne l'a pas empêché de continuer à travailler jusqu'à un âge plutôt avancé.

Tante Louise bénéficiait d'un très grand respect de toute la famille Grezet; imaginez, cette jeune Louise à peine âgée de 24 ans, n'avait pas hésité à entreprendre un voyage jusqu'en Russie ! Partir seule pour un si long voyage au début du XX siècle tenait de l'exploit. J'ai entendu parler de tante Louise toute ma vie; ma mère l'adorait, mes tantes Trudy et Zizi l'idolâtrait !

Chez tante Louise nous buvions du thé chaud et très noir et âcre, toute la journée dans son samovar, dans le hall d'entrée il y avait un immense ours brun debout empaillé, sur chaque canapé il y avait des fourrures douces et chaudes, dans son appartement situé à l'avenue Tissot à Lausanne, tout sentait un certain exotisme !

Il y avait des chocolats dans de ravissantes petites coupelles partout dans l'appartement, ces chocolats étaient fabriqué par son frère Charles Grezet mon grand-père maternel et nous pouvions nous servir tant que nous voulions !

Mon grand-Père Charles Grezet, frère de Louise voir;http://www.notrehistoire.ch/group/victor-desarzens/article/898/

Comme c'est l'unique photo de la fratrie Grezet je la montre aux membres de NH chaque fois que j'évoque mon grand-père et ses frères et souers, Louise est la deuxième sur le bobsleigth

Je ne connais pas exactement la date de sa naissance, elle a dû naitre vers 1880 "Aux Ponts de Martels" dans le canton de Neuchâtel.

Les parents de Louise étaient boulanger; Louise est entrée dans le monde du travail très jeune.

Déjà au XIXe siècle, la mode des éducateurs suisses avait gagné l'empire de Russie. Bon nombre de grandes maisons préféraient employer des gouvernantes et des précepteurs suisses plutôt que des Français dont les idées démocratiques, voire révolutionnaires, pouvaient s'avérer pernicieuses pour leurs enfants.

C'est ainsi qu'en 1904, âgée de 24 ans environs, que tante Louise quitta ses sapins, ses montagnes, son pays et devint gouvernant des enfants de la famille impériale Romanov en Russie. A-t-elle rencontré pierre Gilliard engagé comme professeur de français au service du prince Serge Gueorguievitch Romanovski, duc de Leuchtenberg, arrière grand oncle de ma belle fille ? Je n'ai pas beaucoup d'informations sur cette période de sa vie, sauf qu'elle avait été très liée avec la famille Romanov, qu'elle a vécu les dernières années de l'empire russe et a pu rentrer juste avant de connaître le sort des enfants Romanov qui furent assassinés par les Bolchéviques en 1918.

Rentrée en Suisse, elle s'est occupée d'enfants handicapés. A cette époque l'Etat n'aidait pas les familles dont un enfant était handicapé,le sort de ces enfants était terrible, les parents honteux d'avoir engendré un "monstre", enfermaient souvent cet enfant dans une chambre dans le meilleur des cas ou un "réduit" pour les familles pauvres.

Comme le handicap touche toutes les familles riches ou pauvres, les enfants d'origine modeste ont pu profiter d'un accueil de qualité grâce aux dons des familles "bourgeoises"; en effet, jusqu'en 1940, ce sont ces parents aisés qui léguaient une propriété avec un parc à une personne bienveillante ou a un ordre religieux qui voulait bien prendre en charge leur enfant !

C'est ce qui s'est produit pour tante Louise; des parents aisées lui ont acheté le grand Chalet de Sauvabelin sur les hauts de Lausanne, pour offrir un accueil à leurs enfants. Elle avait partagé le chalet en deux; une partie pour accueillir des mères qui venaient accoucher, je suis née au Chalet de tante Louise,et l'autre comme accueil des enfants souffrants de handicap.

Tante Louise était nurse, sage femme, musicienne, gouvernante et kinésithérapeute; ce sont ces compétences professionnelles qu'elle a mis au service de l'enfance handicapée jusqu'à son dernier souffle.

Elle prônait la douceur, l'indépendance affective et physique, une solide santé, la musique, les séjours en Bretagne, les bains de mer, les massages comme thérapie pour ces enfants; ma mère m'a toujours dit que tante Louise essayait de ne jamais refuser d'accueillir un enfant, en disant que c'était un enfant "sauvé".

Tous les enfants aimaient tante Louise; elle était douce, tendre et drôle avec nous. Elle parlait beaucoup de langues et chantait "au sole mio" accompagnée à l'accordéon par son frère Charles, mon grand père maternel.

Tante Louise vivait avec son "amie" Melle Minkuitz salutiste, très active pour la lutte des questions d'hommes alcooliques. Ce couple de femmes était un sujet tabou dans la famille !

Sur le canapé de droite à gauche; tante Trudy, la nièce de tante Louise, tante Louise, aveugle mais si souriante, Melle Minkuitz son amie et tante zizi également la nièce de tante Louise.

C'est également l'unique photo de mes grands-parents, oncles et tantes, famille Grezet réunie en décembre 1934 environs.

A la mort de tante Louise, lors du partage des affaires de celle-ci, ma mère a ramené à la maison un grand livre bleu fermé par un lacet brun. Il s'agissait d'un registre pour répertorier les animaux abattus pour la consommation de la Commune et Municipalité des Ponts, daté de 1878 et 1879.

Nous avons tous été ravis de découvrir ce registre devenu cet imagier réalisé par la petite Louise. Les parents de la fillette étant boulanger, il y avait beaucoup d'images et de vignettes de marques Suchard chocolat.

Ces nombreuses images montrent que dans la famille il y avait des journaux comme "L'Illustration"; reflet du monde, des continents des faits divers comme les naufrages, la pauvreté, les villes, la solitude, la vieillesse..... tant d'images qui ont certainement fait voyager, "nourri" et "frappé" l'imagination de la fillette !

Le registre ouvert.

Chaque page est remplie avec une écriture studieuse; nom et prénom du boucher ou du propriétaire, espèce d'animal, numéro de santé de l'animal date etc....

Je ne résiste pas au plaisir de partager quelques unes de ces images collées par Louise dans ce registre.

  • L'Illustration, samedi 26 décembre 1891; la distribution des jouets..

Toutes les vignettes chocolat sont recto/ verso; ..."Fabrique de Chocolat Suchard Neuchatel-Suisse"....etc.

Le sommeil des enfants sages......

Un sauvetage.....!

Et pour finir, le progrès; le cacao soluble......

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  • Anne-Marie Martin-Zürcher

    Cet imagier est un véritable trésor. Merci chère Martine de nous le faire partager. Toutes ces anciennes images d'emballages de chocolat nous rendent très nostalgiques. ENCORE MERCI.....et bravo.

  • Martine Desarzens

    Merci chère Anne-Marie, nostalgie de ce monde du chocolat suisse, que je partage un peu . Maintenant il faut que je trouve un lieu ou une association ou personne pour déposer cet album qui est en effet extraordinaire pour son histoire et son contenu ! Peut-être qu'un membre de NH va pouvoir me donner une piste ...

  • Sylvie Bazzanella

    Un parcours de vie hors du commun, une femme remarquable. Merci pour ce partage. Cet imagier, par ailleurs fort beau est surprenant quant au répertoire qu'il contient. Louise Grezet a-t-elle hérité ce livre bleu de sa famille, pour ensuite l'enrichir de belles images ? Le bureau communal des Ponts-de-Martel devrait pouvoir répondre à ta question, Chère Martine, et/ou la Bibliothèque Publique et Universitaire de Neuchâtel.

  • Martine Desarzens

    Le registre ne m'intéresse peu, peut-être qu'un membre de la famille de Louise était responsable de tenir à jours ce livre. Ce qui me touche et m'intéresse c'est surtout le contexte d'activité enfantine et ce que cette petite fille a fait de ce qu'elle trouvait autour d'elle; ces publicités et vignettes du chocolat Suchard et des illustrations de journaux. Je trouve que c'est cet aspect qui fait la valeur de cet album.

  • Sylvie Bazzanella

    L'activité de Louise Grezet est bien sûr le plus intéressant. Les images qu'elle a soigneusement choisies pour illustrer son album nous révèlent une fillette aux multiples intérêts. L'image "Le sauvetage" oeuvre de edwin henry landseer, a fait le tour du monde. Son histoire a touché des générations d'enfants. Il n'en demeure pas moins, que le registre me surprend, tant il paraît à cent mille lieues des intérêts de Louise Grezet.

  • Martine Desarzens

    J'ai toujours pensé qu'à cette époque il n'était pas rare de voir des enfants recevoir des documents officiels comme support pour dessiner ou autre activité, il me semble me souvenir avoir dessiné sur des livres de comptes ou de commandes de mon grand-père Charles Grezet.....on était en 1950...... Durant l'enfance de tante Louise entre 1890 et 1900 j'imagine que l'on ne donnait pas facilement du papier à un enfant pour des bricolages...et que tout naturellement l'enfant ne s'étonnait pas de coller des images sur ce genre de registre, peut-être même qu'elle n'avait pas du tout compris le sens de ces annotations???!!!!

  • Claire Bärtschi-Flohr

    Quelle belle histoire que celle de Tante Louise !

  • Martine Desarzens
  • Martine Grangier

    très......"romanesque" et splendide évocation. je me sens presque invitée dans ce salon aux fourrures soyeuses recouvrant des canapés, le goût du thé sorti du samovar, l'oreille captivée par les récits de Tante Louise! merci. Puis-je reprendre un petit chocolat de cette coupelle?

  • Martine Desarzens

    Merci, oui je partage votre impression de douceur dans tous les sens du terme!

  • Laurent Greset-Dit-Grisel

    Bonjour, Martine étonnant cette histoire, et ce qui est étonnant c'est la ressemblance de votre grand-oncle Samuel Grezet avec mon frère Richard Greset dit Grisel et d’autres de points communs ; je suis pâtissier confiseur , ma tante avait aussi une amie.. " Sujet aussi tabou ". Comme je possède une copie numérique des registres du canton, j'ai fait une rapide recherche et trouvé deux Louise une Louise Ester et une Louise Jenny Emma. Le père s’appelait-il Louis ?

  • Martine Desarzens

    Cher Laurent bonjour, Quelle plaisir de vous lire ! Malheureusement il ne m'est pas possible de vous donner le prénom du père de mon grand-père Charles, de sa soeur Louise et de son frère Samuel !!! C'est trop lointain .... Que puis-je vous donner comme autre renseignements ? Ce que je peux vous confirmer c'est que le frère de tante Louise, Charles mon grand père, fut le propriétaire de la première automobile de Couvet...... Si on imagine que ces frères et soeur sont nés vers 1880-1890, aujourd'hui, mon grand-père Charles, Samuel et tante Louise auraient entre 133 et 123 ans !!!

  • Pierre-Marie Epiney

    Très intéressant document. Merci Martine.

  • Martine Desarzens

    Merci et bonne soirée.