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G. Mahler, Chants enfants morts, D.Fischer-Dieskau, SOBR, P.Kletzki, 9.9.1958, Montreux

9 septembre 1958
Radio Bavaroise, Radio Télévision Suisse
René Gagnaux

Gustav MAHLER, Chants sur la mort des enfants, (Kindertotenlieder)
Dietrich FISCHER-DIESKAU, Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise, Paul KLETZKI , 9 septembre 1958, Salle du Casino, Montreux

Depuis 1900, les lieder de Mahler étaient fortement influencés par les écrits de Friedrich Rückert. Peu après la mort de deux de ses 10 enfants, Rückert avait écrit un recueil de 428 poèmes sur le thème des enfants morts. Mahler - qui avait lui-même onze frères et soeurs, dont 6 décédés pendant leur enfance - porte son choix sur cinq de ces poèmes pour former son recueil des Chants sur la mort des enfants: en 1901 sont composés les premier, troisième et quatrième lieder, il termine le recueil en 1904.

Sur la première page de la partition Mahler fait la remarque suivante: "[...] Ces 5 morceaux forment une entité indivisible. Il est donc de rigueur d'éviter toute interruption accidentelle pendant leur exécution, en réprimant même les applaudissements jusqu'à la fin du dernier.[...]" cité de la préface publiée dans l'édition «Wiener Philharmonischer Verlag, New York, Associated Music Publishers, c1905, Philharmonia Partituren», voir par exemple cette page du site dlib.indiana.edu.

Dans cette préface fut également publiée une introduction de Richard Specht, un spécialiste de Gustav Mahler:

"[...] Ce sont les lieds et chansons de Mahler qui nous délivrent la véritable clef explicative pour son oeuvre symphonique, surtout les morceaux dont il trouva les paroles dans le «Cor magique», chansons exceptionelles parmi les créations du même genre dans lequel nous les classons, d'une émotion moins personelle, éloignées de toute confession sentimentale, mais débordantes du grand enchantement qu'exercèrent sur l'âme du maitre la cantilène populaire, le cri primitif du coeur humain, fait de naiveté et de force; chansons tantôt mélancoliques tantôt joyeuses, pleines de gaité bruyante ou de tendres nostalgies, de charme léger ou d'obstination paysanne âpre et hargneuse: elles connaîtront un jour peut-être la vogue de la véritable chanson populaire et chantées par les humbles dont le coeur n'a pas encore subi l'étreinte meurtrière de la fausse culture, elles voleront de bouche en bouche à travers les générations et les siècles pour retourner ainsi au grand fleuve limpide du folklore anonyme qui jadis inspira leur créateur. Et ce serait là l'apothéose qu'elles méritent.

Dans ce siècle inquiet, tourmenté et hurluberlu, pareille mélopée en marge de la mode, en dehors de toute époque, ne pouvait être conçue que par un de ceux-ci qui jamais ne «furent de ce monde». Peut-être les siècles passés entendirent-ils chanter ainsi les paysans, les bergers, les mercenaires sous la tonelle ou dans les rues étroites à hauts pignons des petites villes. Car ce n'est que par l'instrumentation, unique dans son genre, que ces petits chefs-d'oeuvres se révèlent comme étant de nos jours. Cette profusion de teintes chattoyantes, cette délicatesse des nuances n'ont été données qu'à notre époque qui est celle de Berlioz et Wagner.

Il y a dans la série de ces lieds une evolution insensible de la description objective à l'émotion personelle des chansons guerriers, des légendes sereines ou mélancoliques du «cor enchanté» à travers les naives et touchantes confessions de Ruckert vers les accents tragiques et empoignants presque cruels du cycle «Sur la mort d'enfants». Mahler avait la conviction que toute son oeuvre n'était au fond qu'une espèce d'anticipation prophétique de sa destinée dans ce sens que dans chacune de ses créations il formait involontairement une espèce de vision que l'avenir réaliserait dans sa propre vie.

Or, coïncidence au moins troublante, dans le cas du cycle «Sur la mort d'enfants» cette idée mystique a trouvé une confirmation des plus tragiques par la mort de la fillette du maître.

Et Mahler, qui selon ses propres paroles, s'il avait eu des enfants à cette époque, n'aurait jamais été capable de concevoir ce chef-d'oeuvre plus empoignant encore par la tristesse contenue, la douceur élégiaque de la berceuse dolente et finale que par les puissantes éruptions de douleur titanique du commencement, Mahler lui-même considérait plus tard ce cycle comme un défi sacrilège lancé à la destinée dont la main l'avait si cruellement frappé.

Personne n'a jamais entendu ces 5 morceaux sans être profondément rémué par leur beauté impérissable. Le cycle «Sur la mort d'enfants» et «Le chant de la Terre» constituent le gage le plus sûr de l'immortalité du maître.[...]"

Cité de la préface publiée dans l'édition «Wiener Philharmonischer Verlag, New York, Associated Music Publishers, c1905, Philharmonia Partituren», voir par exemple à partir de cette page du site dlib.indiana.edu, sous «Notes».

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Pour les textes des 5 Lieder voir par exemple cette page du site lieder.net, qui propose également diverses traductions.

Kletzki FischerDieskau

Dans l'interprétation proposée sur cette page, Dietrich FISCHER-DIESKAU est accompagné par l'Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise placé sous la direction de Paul KLETZKI, un enregistrement du Festival de Montreux 1958. L'Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise y donnait 6 concerts:

<a href=""></a> Montreux 1958
Ce 9 septembre 1958 Dietrich FISCHER-DIESKAU chantait pour la première fois à Montreux. Un extrait du compte-rendu paru le 11 septembre 1958 dans la Gazette de Lausanne, en page 5:

"[...] Le troisième concert du Festival de Montreux nous offrait, mardi soir, un programme d'une valeur et d'un intérêt exceptionnels. Le pôle d'attraction en était sans nul doute les Kindertotenlieder de Gustav Mahler, oeuvre d'une grande beauté et très rarement jouée chez nous. Le reste du programme était composé par la Troisième Symphonie en Fa majeur de Brahms, la Siegfried Idyll de Wagner et les Tableaux d'une exposition de Moussorgsky, orchestrés par Ravel. L'Orchestre du «Bayerischer Rundfunk» était placé sous la direction de Paul Klecki, et nous avions la joie d'applaudir, pour la première fois, sauf erreur, à Montreux, l'admirable baryton Dietrich Fischer-Dieskau.

Etrange personnalité que celle de Gustav Mahler, combien différente de celle d'un Anton Bruckner. Bruno Walter nous le dépeint comme un homme inquiet, tourmenté, esprit philosophique constamment à la recherche d'une élévation morale. De la plus franche gaîté, il passait sans transition au plus complet désarroi, s'interrogeant sans fin sur les problèmes de la destinée de l'homme. Ses symphonies (Mahler en composa dix) portent au plus haut point la marque de ces sautes d'humeur. Du sublime, Mahler tombe en quelques mesures dans le banal. Sa soif impérieuse d'absolu le pousse à l'excès. Ses symphonies prennent des dimensions considérables, leur effectif orchestral est monumental; Mahler y joint sans retenue les voix solistes et les choeurs. Et pourtant, de tout ce fatras, se dégage une impression de profonde sensibilité, de réelle grandeur, et d'une douleur souvent poignante.

Dans ses chants avec orchestre, Kindertotenlieder, Lieder eines fahrenden Gesellen, et surtout Das Lied von der Erde, sorte de bouleversant testament musical, Mahler se montre, en revanche, beaucoup moins abusif. Le soutien des voix l'oblige à se limiter dans le nombre des instruments, la pensée créatrice se purifie, donnant à l'oeuvre le ton de la sobre austérité. Les Kindertotenlieder, composés sur des poèmes de Friedrich Rückert, expriment dans la retenue de l'expression et le dépouillement de la syntaxe musicale la désolation la plus profonde, douleur d'un père devant la mort de ses deux enfants.

En outre, par sa science de l'orchestration, Mahler, qui était d'ailleurs un remarquable chef d'orchestre, réussit à créer un climat d'étrangeté inquiète et angoissée réellement saisissante. Dietrich Fischer-Dieskau fut un interprète à la mesure de l'oeuvre. La pureté de son timbre, la sobriété de son expression, l'absence de toute attitude théâtrale chez cet admirable musicien le placent au tout premier rang des chanteurs de notre époque. Il sut, grâce à la sûreté de son instinct musical, nous restituer l'oeuvre de Gustav Mahler dans toute sa grandeur tragique. Admirablement accompagné par Paul Klecki et les musiciens du «Bayerischer Rundfunk», il reçut l'ovation du public montreusien. [...]"

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<a href=""></a>L'enregistrement que vous écoutez...

Gustav Mahler, Kindertotenlieder, Liederzyklus, Dietrich Fischer-Dieskau, Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, Paul Kletzki, 09.09.1958, Salle du Casino, Montreux

1. Nun will die Sonn' so hell aufgehn 05:26
2. Nun seh' ich wohl, warum so dunkle Flammen 04:56
3. Wenn dein Mütterlein tritt zur Tür herein 04:23
4. Oft denk' ich, sie sind nur ausgegangen 03:08
5. In diesem Wetter, in diesem Braus 06:36

Radiodiffusion (Archives Radio Bavaroise) -> WAV -> MP3 320 kbps

Pour les fichiers au format FLAC - donc comprimés sans pertes - voir cette page de mon site.

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  • Martine Desarzens

    La voix est poignante...unique Dietrich FISCHER-DIESKAU ! Les cors, comme un appel vers un au-dela, magnifique Pour moi une découverte. Merci cher René

  • Pierre-Marie Epiney

    Merci de ce magnifique partage. Quelle émotion d'entendre à nouveau cet immense chanteur dans cette oeuvre si émouvante. Merci aussi pour votre descriptif. Ce document est un de mes favoris.

René Gagnaux
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1 avril 2016
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