Ernest Ansermet, 1958, XXe Festival de Lucerne
Trois noms sont associés au XXe anniversaire du Festival de Lucerne: Toscanini, Furtwängler, Ansermet
Sous ce titre, dans la revue L'Illustré du 11 septembre 1958, No 37, pages 53-54, Henri Jaton présentait un entretien avec Ernest Ansermet:
"[...] Ne sont-ce pas là des patronages que bien peu d’organisateurs sont en mesure de revendiquer? Hélas, de ce „triumvirat“ exceptionnel, seul Ernest Ansermet participe aujourd’hui encore — et avec quelle générosité - à notre vie musicale... Toscanini nous a quitté, alors que depuis longtemps déjà l’impitoyable Amérique l'avait annexé... Usé par le rythme d’une vie harassante, Furtwängler a disparu trop tôt, emportant avec lui le secret de la tradition qu'il avait héritée de ses maîtres Hans Richter, Arthur Nikisch...
Pour présider la séance inaugurale de cette vingtième réplique de leur initiative, les organisateurs lucernois avaient fait appel à Ernest Ansermet qui, commentant Frank Martin, Claude Debussy, Bela Bartók... obtint une nouvelle fois, au Kunsthaus un succès triomphal...
Témoin de la naissance du festival, c’est à Ansermet que je m’adresse pour établir les points essentiels de l'historique des Semaines Internationales de musique:
— Dans quelles conditions a été fondé le Festival de Lucerne?
— J'étais préoccupé depuis fort longtemps, me répond aimablement Ansermet, du sort de mes musiciens de l'Orchestre de la Suisse romande dont le contrat ferme n'était établi que pour six mois, et qui se voyaient ainsi contraints de trouver, durant l'été, une occupation complémentaire, ce qui n’était pas sans nous exposer au risque de ne plus les retrouver à leur pupitre au début de la saison d’hiver...
C'est alors que l’idée de la création d’un Festival suisse me vint à l'esprit. Le choix de Lucerne me paraissait s’imposer comme centre de villégiature, et je fis part de mon projet à mon ami Paul Budry alors directeur romand de l’Office national du tourisme, ainsi qu’au docteur Zimmerli, président de la Ville de Lucerne, et par ailleurs homme fort distingué et cultivé.
Avec la confirmation d’un ensemble formé d’instrumentistes de l'Orchestre de la Suisse romande et de musiciens de Lucerne, nous fîmes une première tentative en 1937 déjà, au Kursaal, le Kunsthaus n’étant pas encore bâti... et je dirigeai, en particulier, ce concert dont Alfred Cortot était le soliste...
L’expérience ayant été concluante, nous envisageâmes la réédition du festival l'année suivante. Sur ces entrefaites, l’Autriche ayant passé sous la domination germanique d’alors, Toscanini refusa désormais de diriger au Festival de Bayreuth. Nous savions le maître italien très attaché à Lucerne, à Tribschen, et à tout ce qui touche le souvenir du séjour de Wagner dans cette région.
Toscanini étant lié de très vive amitié avec Adolphe Busch, nous chargeâmes l'illustre violoniste de lui proposer d’accepter le patronage et de participer au Festival de Lucerne... Toscanini accepta avec enthousiasme...
Et nous vécumes alors, en 1938 et 1939, deux saisons exceptionnelles où défilèrent au podium du Kunsthaus Toscanini, Furtwängler, Mengelberg, Bruno Walter, Fritz Busch... moi-méme conduisait également...
— La guerre a mis un terme momentané à votre entreprise; mais, depuis lors, maître, la formule de „festival“ s’est étendue un peu partout. Estimez-vous que ce soit là un bien pour la musique?
— Il est indéniable que la musique bénéficie aujourd’hui d’une très vaste audience qui lui a procuré la vulgarisation de la radio, du disque... Si le prestige de qualité est maintenu de façon intangible, il me semble que la multiplication des festivals ne peut être que favorable au rayonnement musical.
— Un autre point, maître: on fait grief aux organisateurs des festivals de s’en tenir toujours à un programme composé d’oeuvres consacrées. Avez-vous pu noter, à Lucerne en particulier, une évolution favorable du public quant à sa compréhension de la musique contemporaine?
— Sans aucun doute, et j'en prendrai à témoin l’accueil intéressé dont ont bénéficié, lors de mon dernier concert , des ouvrages comptant de réelles complexités, tels que l’„Ouverture“ de Frank Martin et le „Concert“, de Bartók. Mais attention: il ne faut pas confondre la musique contemporaine avec certains essais expérimentaux qui obéissent à la mode et m’apparaissent comme ne pouvant avoir aucun lendemain... Je rends hommage aux promoteurs lucemois de n’avoir, sur ce point, jamais sacrifié au snobisme, tout en maintenant à leur programme, les pages les plus représentatives du répertoire de notre temps...
Ce qu’Ansermet ne nous dit pas, c’est qu'il est le responsable essentiel de cette ouverture d'esprit dont témoigne aujourd'hui l’auditoire du Kunsthaus, et cela par les nombreuses exécutions qu’il nous a offertes durant ces vingt ans, et dont nous étions, en ce récent concert d’ouverture encore, les auditeurs enchantés...
Henri JATON. [...]"
Pour écouter un entretien plus détaillé d'Henry Jaton avec Ernest Ansermet - traitant des thèmes du texte ci-dessus -, aller sur cette page de NH.
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