Il y avait une fois un vieillard qui montait à dos de mulet de Vissoye à Grimentz. En passant dans les rochers dèj Erè (1), au-dessus de Saint-Jean, il vit et entendit des choses étranges. Il entendit qu'on battait du tambour, il vit des paquets de feu sauter de ci de là. Effrayé, il se demandait : « Mon Dieu, qu'y a-t-il ? » Pour avancer plus vite, il donnait du talon dans le ventre de la bête. « Heureusement que j'arrive à la chapelle de saint Théodule (2) ! murmurait-il. Je pourrai prier les vêpres » (3). Il y arriva, cependant que la chenegola faisait grand sabbat et criait : « Pourvu qu'il ne descende pas de sa monture ! S'il invoque la sainte Vierge, nous sommes perdus.»

Le pauvre homme, plus épouvanté que jamais, mit pied à terre. Les diables, courant à lui, se pendirent à son paletot et le renversèrent. Il se releva. « Sainte Vierge, suppliait-il, que je puisse au moins me réfugier dans la chapelle ! » Deux fois encore, les esprits le firent tomber. Ils tirèrent même si fort sur son habit qu'ils en arrachèrent des pans. Le vieillard se sauva, entra dans la chapelle, tomba à genoux et fit un signe de croix. Tout disparut.

Photo Hélène Brandt, 1928 " Collection Luc Saugy "

(1): À mi-chemin entre Saint-Jean et Grimentz, aux lacets qui portent ce nom.
(2): À la sortie des rochers « dèj Erè ». (3): II est d'usage, dans le val d*'Anniviers*, de réciter les vêpres pour chasser la «chenegola », comme en d'autres endroits l'on dit l'Évangile de Saint Jean.

Contes de Grimentz, par Robert Loup, professeur. Archives du Nouvelliste valaisan du 26 juillet 1928. Extraits des cahiers valaisans de folklore de l'abbé Luyet.