Yoga et Suisse romande Repérage

Valérie Clerc

Aujourd’hui, le yoga fait partie de l’offre sportive courante en Suisse romande, mais il n’en a pas toujours été ainsi. Cette pratique venue des Indes a longtemps été perçue comme ésotérique ou sectaire. Un coup d’œil rétrospectif dans la presse romande nous livre une vision contrastée du phénomène.

Un motif de divorce en 1947

C’est bien connu, tout ce qui est nouveau effraye. Arrivée en Occident par les échanges que la Grande-Bretagne entretient avec ses comptoirs coloniaux, la spiritualité orientale inquiète... En 1947, quelques mois avant l’indépendance de l’Inde, le Journal du Jura se fait l’écho d’un fait divers qui a de quoi alerté l’opinion public : une femme britannique a obtenu le divorce, parce que son époux était yogi! Les tribunaux britanniques assimilent alors le yoga à une déviance. Voilà de quoi effrayer celles et ceux qui découvrent l’existence de la pratique dans la presse jurassienne.

  • Grâce à la compréhension d'un juge très humain, Mme M. Bragg de Londres a pu divorcer en bonne et due forme de son mari, La situation de la malheureuse était en effet devenue insupportable, depuis que son époux s'était donné aux pratiques du yoga. Je l'avais épousé, dit Mme Bragg, alors qu'il était normal, il ne faisait alors rien qui me déplaise, bien au contraire. Tout à coup il se met à manger tout accroupi sur le parquet, à toute heure du jour et de la nuit, il tombe en extase en se pressant les tempes et fermant les yeux puis il fait cent autres grimaces et gesticulations parfaitement agaçantes pour le profane. Enfin se détache si bien de tous les biens de ce monde qu'il n'y a plus rien de bon à tirer de lui… » Le juge interrompt ici la déposition, et comme le yogi persistait dans son silence extatique, il prononça le divorce sans autre forme de procès.

Une gymnastique dans les années 1970

Dans les années 1970, le yoga est assimilé à une gymnastique. A côté de l’aérobique, l’aquagym et le fitness, il fait partie des nouvelles manières de s’entretenir et de conserver la ligne.

« Pour Madame-tout-le-monde, une personne qui pratique le yoga, c'est : une personne d'une souplesse extrême, capable de s’asseoir en lotus pendant des heures, de contrôler sa respiration et ses muscles. », voilà comment la discipline est perçue par le journal Femmes suisses et le Mouvement féministe.

C’est toutefois dans ces mêmes années qu’une nuance est apportée à cette idée reçue, comme le note plus loins le même journal : « nous assistons à une remise en question du phénomène yoga par les milieux scientifiques qui en voient l'application dans les domaines physiologiques, psychosomatiques ou psychologiques. »

C’est en 1979 que le médecin américain Jon Kabat-Zinn (*1944) emploie certaines techniques et exercices issus du yoga pour créer une méthode de réduction du stress basée sur la méditation pleine conscience (MBSR - Mindfulness-Based Stress Reduction).

Vers le développement personnel dans les années 1980

Au tournant des années 1980, la discipline prend le virage du développement personnel. La pratique du yoga permet d’apaiser des états de dépendances, d’insomnie ou de dépression en favorisant la relaxation et le recentrement de la personne. Il s’agit d’être à l’écoute de soi par la pratique régulière de la méditation.

Un reportage du Journal du Jura est allé questionné un groupe d’adeptes pour saisir leurs motivations :

« Le jour où l'on découvre sa vie intérieure, ce n'est pas toujours très facile », dit Josette, « parce qu'on ne voit les choses que de l'extérieur. Mais on y réfléchit par la méditation. Je comprends maintenant qu'il ne faut pas s'arrêter, que le chemin ne se fait pas en un jour, mais qu'il y a toujours du nouveau à découvrir. »

Vers la reconnaissance dans les années 1990

En 1998, le Journal de Sierre publie un article qui résume bien la situation : « Yoga ne rime plus avec gaga ». Cela fait bientôt 50 ans que le yoga s’est implanté en Suisse romande et ce qui était perçu comme une secte à ses débuts est désormais entré dans les mœurs.

Valérie Clerc
Anne Morier - pionnière de l'enseignement du yoga en Valais
1994
Anne Morier - pionnière de l'enseignement du yoga en Valais

La preuve ? A 85 ans, Anne Morier enseigne la discipline à Montreux, Monthey, Martigny, Sion et Sierre depuis près d’un demi-siècle. C’est à la suite d’un accident qu’elle embrasse sa vocation de yogi. Parmi ses élèves un directeur de fanfare, qui d'initie sa troupe au yoga pour lui assurer un meilleur résultat lors d'un concours ou encore les Sœurs du couvent de Géronde qui bénéficieront des cours d’Anne Morier deux hivers durant. Leur médecin traitant leur avait suggéré de faire de la natation ou du yoga. Voilà qui montre bien que le yoga a fait son petit bonhomme de chemin dans nos contrées et qu'il est accepté de tous.

Sources

« Je n'avais pas épousé un Yogi», in Journal du Jura, n° 110, 13 mai 1947.

e-newspaperarchives.ch/?a=d&am...

« Yoga à l’européenne », in Femmes suisses et le Mouvement féministe, n°62, 1978.

doi.org/10.5169/seals-273844

« Pour le développement personnel : le yoga » in Journal du Jura, n°140, 18 juin 1980.

e-newspaperarchives.ch/?a=d&am...

« Yoga ne rime plus avec gaga »in Journal de Sierre, n°92, 20 novembre 1998.

e-newspaperarchives.ch/?a=d&am...

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Valérie Clerc
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10 novembre 2022
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