Les oeufs de Pâques Repérage

1 janvier 1955
Sylvie Bazzanella

Piquer les oeufs

L'enfant est partout le plus fidèle gardien des coutumes familiales. Il en aime les rites et ne souffre pas que l'on y porte le moindre changement. Mains il ne tient pas à savoir pourquoi l'on teint les oeufs; il lui importe peu d'apprendre qu'ils embellissaient jadis les thyrses des processions et y remplaçaient en Helvétie les fruits de la bonne saison. Ils savent qu'à Pâques l'on teint les oeufs, cela suffit à leur bonheur.

Une chose est certaine, la coutume est invétérée en plusieurs lieux de notre terre romande, la seule qui soit immuable et n'ait jamais été en butte aux ordonnances civiles ou religieuses, parce que nul n'y pouvait chercher malice. A Estavayer comme à Genève, la méthode était semblable, à quelques fioritures près que l'on pourra comparer ici-même. Voici ce qu'en racontait, il y a un demi-siècle exactement, l'érudit Staviacois, Joseph Volmar :

"Chaque famille avait à coeur de teindre les oeufs et de les faire cuire elle-même. Tout l'après-midi du Samedi saint était consacré à ce minutieux travail. Les ingrédients les plus divers y étaient employés; mais le bois du Brésil, les roses
trémières (les roses à bâton, comme on les appelle à Estavayer) et surtout le persil et les pelures d'oignon avaient la préférence."

Carte postale - collection personnelle

Enveloppés dans un chiffon ficelé, les oeufs conservaient leur décoration individuelle, puis ensemble étaient plongés dans la marmite d'eau où ils cuisaient à petit feu. "Le bois du Brésil et les roses trémières surtout donnaient des tons chauds, rouges et violacés." Après les avoir déshabillés, on les frottait de lard ou, mieux encore, on les roulait dans du blanc d'oeuf.

Le même soir ou le lendemain seulement, on se mettait à "piquer", tournoi où, d'un coup sec, l'on s'attaque aux oeufs des adversaires, "pointe contre pointe, cul contre cul, ou cul contre pointe", expressions suffisamment colorées pour ne pas exiger de commentaires. Celui qui brise la coquille est vainqueur et le trophée lui revient.

Les connaisseurs tiennent grand compte de la place qu'occupe la chambre à air qui, à l'intérieur de l'oeuf s'appelle la lune. Sous l'effet de la cuisson, elle ne se situe pas toujours au même endroit. "Un oeuf qui a la lune de côté est très bon, mais un oeuf qui a la lune au cul ne vaut rien !" Et pour s'en assurer, le joueur fait sonner l'oeuf contre ses dents avant le combat. Jeunes gens et jeunes filles y prenaient part autrefois puis s'entendaient pour une "cassée" générale où les oeufs achevaient en salade leur carrière. L'usage, dans nos campagnes, n'est en rien périmé, mais il rejoint ici une autre tradition, celle de la quête de mai en toutes ses variantes. Concours, jeux de hasard s'apparentent, et sans y croire beaucoup plus qu'aujourd'hui, nos ancêtres par le piquage des oeufs devaient chercher des signes de bonheur ou de malheur, immédiats et futurs.

N.

© Revue Costumes et Coutumes, 28me année - No 1 - 1955
Article publié avec l'aimable autorisation de la
Fédération nationale des costumes suisses

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Sylvie Bazzanella
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