La vie quotidienne de la petite Lily dans le Jura vaudois des années 1940

1940
L'Auberson
Lily Schneider
Elisabeth Baudat

La chambre, notre chambre ! Ma petite sœur rondelette, son dos dans mon ventre, sa respiration lente de grand bébé, ses cheveux raides, mouillés d’avoir été sucés et tortillés, mon bras sur sa taille à peine marquée, le rond mouillé de salive sur l’oreiller me dérange et m’éveille !

Ne pas bouger, ne pas tomber du lit étroit sur les pantoufles aux bouts troués; tirer doucement un bout du duvet et le caler sur l’épaule…

Une odeur d’habits froids et humides flotte dans le noir. C’est la grande sœur qui se coule dans son lit. Elle est allée rôder !

Dans le bleu-nuit de la fenêtre, le court rideau blanc imite la dentelle du givre, le renard appelle derrière la maison et je suis sûre qu’il y a deux ou trois lièvres en train de finir les choux rabougris.

La petite sœur se retourne d’un coup et m’oblige à réchauffer l’autre côté de mon corps dans le matelas creux.

Le coucou de la cuisine tique, taque de son balancier de bois. Il ne crie pas; c’est un coucou quand même ! avec deux aiguilles très blanches, deux pives accrochées par une chaîne double. Seul mon père a le droit de le remonter tous les matins.

J’entends craquer l’allume-gaz, puis c’est l’odeur de l’ersatz de café.

Ma mère allume le fourneau. Elle enlève les cercles de fer qui ferment le foyer et emboîte une casserole au fond noir de suie et au long manche de fer ; elle doit la tenir droite au-dessus des bûches coupées courtes, qui crépitent sur la grille de fonte. Ma mère soulève le couvercle de cuivre de la bouilloire, elle le renverse en le tenant par son bouton rond tenu avec la patte à marmite. Elle transporte l’eau, de l’évier de pierre au fourneau avec une puisette de fer d’un litre, cabossée et terne, marquée Maggi. L’eau crépite dans le fond de la bouilloire; trois puisettes suffisent à la remplir. Il y aura de l’eau chaude pour commencer le dîner…

Etre serrée contre ma sœur, c’est confortable !

Cela l’a été moins quand nous avons dû héberger quatre personnes fuyant la guerre en France. Nous avons, de bon cœur, été trois dans le lit, la place la plus chaude était celle du milieu…

La chambre s’est rétrécie du volume des valises en carton sentant l’humidité des resserres où elles étaient restées enfermées.

Ces gens étaient arrivés en troupe au milieu du village. Les soldats suisses les alignaient et les attribuaient aux familles pouvant les héberger. Une fillette s’appelait Marie-Pierre, elle avait mon âge.

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  • Pierre-Marie Epiney

    Merveilleux récit écrit d'une plume alerte et avec force détails : comme si on y était ! Merci pour cette belle évocation. Un bel hommage à votre maman.

Elisabeth Baudat
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22 novembre 2024
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