La mine d'or de la Dent

La mine d'or de la Dent

août, 1857
Philippe-Sirice Bridel
Yannik Plomb

Dent de Vaulion Perrochet David La Chaux de Fonds Lausanne 1912 cliché Téléphot

Sur la question, reprise ces jours derniers, de l’or à la Dent de Vaulion, nous trouvons dans le Journal de Cossonay, sûrement les lignes suivantes qui intéresseront nos lecteurs. « Une information parue dans les quotidiens a appris à ceux qui l’ignoraient que la Dent de Vaulion cache jalousement de l’or dans ses lianes rocheux. Dans le but de lui arracher son trésor, une société a foré le sommet de la montagne. La roche était-elle trop dure ou les parcelles de métal précieux trop rares ? on ne sait. La seule chose certaine, c’est que les travaux ont été abandonnés. Mais ce n’est pas cet échec qui tuera la croyance en l’or de la « Dent », car, soit dit en passant, pour un « Vaulieni », un « Combier » ou un « Vallorbier », il n’y a, dans le Jura, à travers les Alpes et même au monde, qu’une seule et unique « Dent ». Il est donc utile de préciser. Les géologues, des gens savants qui ont la prétention de s’y connaître, sont tous d’accord — ce qui est assez rare — pour affirmer que le calcaire jurassien n’a jamais servi d'asile aux plus modestes pépites. Ur donc, d’après ces messieurs, ceux qui s’acharnent à percer, à creuser et à fouiller les entrailles de la « Dent», du Suchet et du Mont d’Or — bien mal nommé — n’ont absolument aucune chance de découvrir un jour le « panier d’oranges », rêve chimérique et fabuleux de tous ceux qui peinent sur les placers d’Australie et d’ailleurs. Cependant, il y a des gens qui n’accordent aucune confiance aux doctes paroles des savants en général et des géologues en particulier. Ce sont les sourciers, des personnages très sérieux doués du don remarquable de découvrir les prodigieuses richesses du sous-sol, sans s’embarrasser le moins, du monde des savantes théories de Messieurs les géologues, baladant mais tout simplement en se dîme par monts et par vaux, armés simple baguette de coudrier. Or, les sourciers ont jeté leur dévolu sur la « Dent » et ils affirment, non moins catégoriquement que les savants, la présence de l’or dans les failles et les crevasses du massif rocheux. Les subtils frémissements de la mystérieuse baguette et les oscillations insolites du pendule prouvent l’existence des trésors niés par la science officielle. Voilà ce que prétendent les disciples de l’abbé Mermet. Et nos sourciers partent en guerre ; ils explorent les replis des roches, dégringolent les pentes abrupies, se faufilent dans les crevasses, interrogeant la baguette, surveillant les fantaisies du pendule. ?... Qui aura raison, les géologues, confiants dans les données de la science, ou les sourciers, avec leur flair subtil et leur don divinatoire ?...

notrehistoire.imgix.net/photos...

M Dériaz édit Vallorbe 1955

L’avenir nous l’apprendra peut-être, à moins que les recherches actuelles ne tombent dans l'oubli... jusqu’ au jour ou d’autres chercheurs, hantés par les trésors de la « Dent», s’acharneront, le pic en main et la confiance au cœur, à arracher son secret à la montagne. D’ailleurs, légende ou réalité, l’or de la Dent de Vaulion a, depuis longtemps fait travailler les imaginations populaires paisible des et fait naître, à l’ombre sapin du Jura, d’irrésistibles vocations de prospecteurs. Au cours du XXVIIIème siècle, la montagne fut copieusement creusée et fouillée par une bande de mineurs. J’ignore si dame Fortune récompensa les efforts des laborieux chercheurs, mais leurs exploits inspirèrent à Lucien Reymond un roman, oublié aujourd’hui, qui a fait les délices de mes jeunes ans. Maintenant, laissons les sourciers ausculter la «Dent», dans le fol espoir d’ y ramasser l’ or à la pelle. Leurs recherches ne risquent guère de transformer ce coin du calme Jura en un nouveau Klondike ou en petite Californie, et nous n’avons aucune chance d’assister à la ruée des mineurs vers les champs d’or jurassiens. Des esprits timorés craindront peut-être qu’à force de creuser et de trouer la « Dent », on ne finisse par l’ébranler et qu’il ne faille faire appel à un dentiste de génie pour la plomber. Cette crainte est vainc ; malgré les attaques des pygmées humains, la «Dent» continuera, impassible, à contempler le Lac de Joux et à surveiller le vallon île Vallorbe. »

Feuille d’avis et journal de Vallorbe, Ballaigues & Vaulion, feuille d’annonces et résumé des nouvelles, 17/09/1929

Des chercheurs d’or ont été actifs ces siècles passés sur les pentes de le Dent, à la recherche du métal précieux. Des plans et des documents attestent sans nul doute de cette activité, comme celui de Quaza reproduit ci dessous et au dos duquel est inscrit le texte suivant :

notrehistoire.imgix.net/photos...

« Indice pour le trou de Dupuis. Vous trouvez sur la dent proche du signal, où il y a un corps de garde dessus la roche et des charbonnières, vous chercherez un endroit propre à descendre, vous trouverez un plan et replan vis à vis du chalet, étant descendu vous trouverez comme une petite chambre, vis à vis deux grandes roches, dont la ravine que je vous ai recommandé est à droite en entrant. Marque dedans C.J…. »

Une dame d’un certain âge se souvient qu’en 1855 qu’on lui racontait que « en arrière-automne, les gens du village du Pont avaient, parait-il, rempli leurs caves de la fameuse terre de la Dent, pour en chercher les pépites d’or pendant l’hiver, afin de cribler la terre à l’abri du gel. » Mais personne n’a jamais prouvé l’existence de découvertes d’or dans la région. Les chercheurs d’or ne seraient que des simples d’esprits et les mines d’or de la Dent de Vaulion une mystification créée de toute pièces par des « charlatans [...] venus tromper leur crédulité par des ruses grossières. [...] Ils croient à la baguette de coudrier pour indiquer la direction de la mine, au miroir de Salomon qui permet de voir dans les entrailles de la terre, etc.» comme le mentionne le Dictionnaire historique, géographique et statistique du Canton de Vaud en 1867.

notrehistoire.imgix.net/photos...

Photo Aéroport de Lausanne édition Perrochet 1950

Et pourtant, il y a bien eu de l’or trouvée à la Dent ! Le carnet que vous tenez entre les mains le prouve. C’est une copie de celui de Jean R., un chercheur d’or Combier qui a trouvé un filon d’or dans une mine de la Dent. Il contient les indications pour retrouver son trésor. En effet, le fruit de son labeur, transformé en une montre d’exception, est enterré quelque part en terres vaudoises.

Encore une chose : Vous aurez plus de chances de retrouver le trésor du Jean que de trouver des pépites d’or dans les pentes caillouteuses de du Jura. Simple conseil d’ami. Surtout que l’on racontait l y a fort longtemps, au temps des chercheur d’or, qu’un mineur nommé Grabeliaux et ces six compagnons erraient sur la montagne la nuit de Saint-Michel. Et si par malheur on les rencontrait cette nuit-là, on était irrémédiablement attiré vers de profonds puits sans espoir d’en ressortir.

Philippe-Sirice Bridel, dans un ouvrage de 1837, "Le Sauvage du Lac d'Arnon", mettant en scène un voyageur parcourant le pays de Vaud et environs au Moyen-Âge, fait passer son héros à la Vallée de Joux, et notamment il l'autorise à grimper sur la Dent de Vaulion. Simple prétexte pour raconter ce qu'il sait des mines d'or, et surtout des Grabelioux, sorte de lutins effrayants monté à rebours sur des sangliers et dont la queue sert de bride!

notrehistoire.imgix.net/photos...

Au sommet de la Dent Alphonse Dériaz Vallorbe 1935

Curieux de suivre cette chaine du mont Jura, nous abordâmes une vallée presque déserte dans des montagnes appelées les hautes jeurs (joux). L'abbé Etienne nous reçut très bien dans son abbaye récemment fondée au bord d'un joli lac, par Ubald seigneur de La Sarraz et les frères Rodolphe et Millo de Cornens. A notre passage, l'abbaye du lac faisait un compromis avec celle de St.-Claude, qui lui céda ses droits sur la vallée et sur la pêche par une redevance annuelle de cent soixante truites et de trois livres de cire. Je fus un des témoins qui signèrent cet accord. - En sortant du couvent, nous montâmes sur la Dent qui passe pour une des plus hautes cimes de la chaîne, et qui domine un vaste paysage sur les deux flancs du Jura. Près de la petite esplanade du sommet, est une espèce de puits taillé dans le roc ; on y descend par des boucles de fer scellées dans la paroi : peu de personnes osent s'y hasarder, crainte des esprits qui gardent cette mine. Le peuple croit que chaque nuit de St.-Michel, sept fantômes, dont le chef s'appelle Grabelioux, montés à rebours sur des sangliers, dont la queue leur sert de bride, grimpent la montagne et disparaissent dans le puits : c'est probablement un bruit inventé et accrédité par les mineurs afin d'écarter les concurrents et de garder la mine pour eux. A l'extrémité de cette vallée, le lac perd ses eaux dans des fentes de rocher ; elles passent sous terre et vont, à ce qu'on nous assura, former la belle source de l'Orbe, qui surgit de l'autre côté. Crainte de nous égarer, nous avions pris pour guide le chevrier du couvent,

notrehistoire.imgix.net/photos...

homme de bon sens avec lequel on pouvait faire la conversation : il portait sous son bras un sac, dans lequel il mettait diverses espèces d'herbes et de racines qu'il recueillait en marchant. A notre question, que voulez-vous en faire ? il répondit : du bon lohi, c'est-à-dire des remèdes pour guérir les maladies du bétail. Quant à ce petit oignon que vous me voyez manger avec plaisir, après avoir ôté la terre qui le couvre, il est très bon, et pour le goût et pour la santé : nous l'appelons coketta, (terrenoix). Il avait de plus une boîte dans laquelle, en montant sur la Dent, il mettait quelques petites pierres en forme de coeur, légèrement creusées et cannelées (pétrifications), et d'autres qui ressemblaient à des fers de flèche. Celles-ci, nous dit le chevrier, sont des pierres de tonnerre, (bélemnites) que je fais mettre sous le chevet des gens sujets à la chauchevieille (cauchemars), pour les guérir ou les soulager de cette incommodité. - Très bien ; en traitant ainsi gens et bêtes vous êtes fort utile au pays, et je présume qu'on vous en tient bon compte ; - oui ! quand j'ai guéri quelque pièce de bétrail, on me paie en crème, en beurre, en quartier de tomme (fromage maigre) ; mais qu'en est-il résulté ? des gens envieux de mon petit savoir ou de mes petits profits m'appellent vaudai (sorcier):ils vont répétant partout, que je sais traire les 1 vaches de mes voisins sans entrer dans leur écurie ; que j'ai un couteau planté dans une poutre de mon chalet, d'où découle, quand je veux, du lait plein mon chaudron ; que je possède un morceau de drap rouge qui, mis dans ma baratte, y fait venir assez de crème pour en tirer du beurre... tout cela est faux ; je n'ai jamais, comme ils le prétendent, fait de pacte avec l'Ozi ni avec le Tanney (Diable), et je suis aussi bon chrétien que vous, mes braves seigneurs ! Aussi je vais bientôt quitter cette vallée où l'on me traite si mal, et m'en retourner dans mon bon village de Dommartin. - Non, non... restez, mon ami ! Continuez à guérir le bétail malade ; mettez-vous au-dessus des mauvaises langues ; patience vient à bout de tout : peut-être ailleurs seriez-vous encore plus mal. - Vous me dîtes ce que me disait encore l'autre dimanche notre révérend abbé, qui me veut du bien et qui m'en fait ; mais toujours convenez qu'il est bien fâcheux de s'entendre appeler Vaudai, quand on ne l'est pas. - Sans contredit ; mais convenez aussi que ce serait bien pis si vous l'étiez véritablement

Philippe-Sirice Bridel (1757-1845), pasteur à Montreux

.Les seuls qui ont tiré de l’or de ces «mines» sont les malins qui ont exploité la naïveté de moult personnes en leur vendant à un prix élevé des descriptions et des plans des lieux, susceptibles selon eux de receler des richesses. Sur la base de ces documents trompeurs, plusieurs excavations ont été réalisées au siècle dernier et il y a peu de décennies aux environs du sommet; aujourd’hui encore visibles, elles ont été repérées par M. le Prof. Daniel Aubert. D’autres recherches ont certainement été entreprises dans la paroi, dans^ des sites d’un accès difficile. De son vivant, M. Marcel Dériaz, photographe, vendait une carte postale montrant l’entrée de l’une de ces galeries de prospection, avec l’outillage rustique du mineur amateur ( Que je recherche toujours) . Il importe d’ailleurs de ne pas confondre les illusoires mines d’or de la Dent avec les gisements d’asphalte situés non loin de ces fouilles, aux Epoisats, que nous avons évoqués récemment ici et qui, eux, sont bien réels.

notrehistoire.imgix.net/photos...

Le chalet photo des Arts Lausanne 1900

Vous devez être connecté/-e pour ajouter un commentaire
Pas de commentaire pour l'instant!
Yannik Plomb
1,874 contributions
7 avril 2024
54 vues
2 likes
1 favori
0 commentaire
2 galeries