Le séjour des Chateaubriand à Neuchâtel et le destin de la maison où ils ont vécu

Le séjour des Chateaubriand à Neuchâtel et le destin de la maison où ils ont vécu

1 janvier 1890
Laurent de Weck

Cette maison du vieux Neuchâtel, détruite en novembre 1929, se trouvait au Faubourg du Crêt, très proche du lac avant l'abaissement du niveau de ses eaux (vers 1870), alors que l'avenue du Premier-Mars n'existait pas encore. Aujourd'hui, cette propriété se situerait au début de Pierre-à-Mazel, en face de l'église rouge et de "l'Ancien Bâtiment" du Lycée Denis-de-Rougemont.

Elle fut construite en 1817. Son premier propriétaire fut Jean-Daniel Andrié, maître tonnelier à Neuchâtel. Mme de Chateaubriand y résida du 1er août au 22 octobre 1824. Son mari lui fit une première visite de trois jours à la fin du mois d'août, comme en témoigne cette lettre du 30, à la duchesse de Duras: «Je vous écris d'une galerie au bord du lac, ayant devant moi le lac, toute la côte du Canton de Fribourg, et par delà la chaîne des Alpes depuis le Mont-Blanc jusqu'aux deux Sts Bernard... Nous jouirions ici de la plus profonde paix, sans la gazette de Lausanne qui nous apprend ce qui se passe dans le monde. Les deux malheureux bruits qui me suivent, le bruit littéraire et le bruit politique, ne me laissent aucune ressource: quand j'évite l'un, je tombe dans l'autre."

La présence du couple à Neuchâtel s'inscrit dans un contexte de crise: après avoir été successivement ambassadeur de France à Berlin et à Londres, Chateaubriand s'était vu nommer aux Affaires étrangères en 1822. Malgré ses "succès" (congrès de Vérone, guerre d'Espagne), il perdit son poste, le 6 juin 1824, n'ayant plus la faveur de Louis XVIII, ni celle de M. de Villèle, son principal ministre. L'écrivain quitte donc ses fonctions. Fièrement, il renonce à toute pension en dépit de ses difficultés financières. Sa femme, "toujours extrêmement animée contre ce qu'elle appelle l'ingratitude des uns et l'indignité des autres", prend le parti de s'éloigner de Paris et de son mari, dont les choix, dictés par l'honneur, provoquent chez elle de l'amertume.

Le chapitre 4 du livre XXVIII des "Mémoires d'outre-tombe" évoque la visite de l'auteur à Neuchâtel: "(...) je rejoignis madame de Chateaubriand: elle avait loué une cabane au bord du lac. La chaîne des Alpes se déroulait Nord et Sud à une grande distance devant nous; nous étions adossés contre le Jura dont les flancs noircis de pins montaient à pic sur nos têtes. Le lac était désert; une galerie de bois me servait de promenoir. Quand je montais au sommet du Jura, j'apercevais le lac de Bienne aux brises et aux flots de qui J.-J. Rousseau doit une de ses plus heureuses inspirations."

Mais les affaires se précipitent: Louis XVIII meurt le 16 septembre. Chateaubriand attend du nouveau règne un retour en grâce. Une seconde visite de l'écrivain à Neuchâtel, du 3 au 16 octobre 1824, convaincra l'illustre fugitive de rentrer à Paris. Quatre ans plus tard, l'ambassade de Rome sera offerte à son mari et Mme de Chateaubriand, pour la première fois, l'y suivra.

En 1833, la maison Andrié fut la résidence de la famille Hanski, au moment ou la comtesse Hanska s'était rendue à Neuchâtel pour y rencontrer Balzac. En 1855, la propriété fut vendue à Edouard Desor, le grand géologue, ami de Louis Agassiz, à son retour d'Amérique. Léguée à la ville par son propriétaire, elle fut démolie en novembre 1929. Un article de la Feuille d'Avis de Neuchâtel, qui relate l'événement, explique qu'il fallait "faire de la place": depuis longtemps, on se plaignait qu'au bout de l'avenue du Premier-Mars, "la chaussée était étranglée entre les immeubles et que la circulation y devenait dangereuse." Les bâtiments construits sur l'emplacement de cette illustre maison offrent aujourd'hui, en face de la rue Desor, un triste spectacle d'architecture délabrée. LdW

Sources:

"Fonds Favarger", Archives de l'État de Neuchâtel

Chateaubriand, "Mémoires d'outre-tombe", t. 1. Quarto Gallimard, 1997, pp. 1785-1786

Jean Courvoisier, "Les monuments d'art et d'histoire du canton de Neuchâtel", t. III. Bâle, Éditions Birkhaüser, 1968

Jean-Pierre Jelmini, " Neuchâtel 1011 - 2011, Mille ans - Mille questions - Mille et une réponses", Gilles Attinger, 2011

Archives de l'Express on line, La Feuille d'Avis de Neuchâtel, 21. 11. 1929

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