Fresque étrange à Loèche

Fresque étrange à Loèche

Pierre-Marie Epiney

Alors que le Moyen Age touche à sa fin, que l'Amérique vient d'être découverte, un artiste peint cette fresque sur un des murs intérieurs de l'église de Loèche ville. Nous sommes en 1496 comme l'atteste la date au fond à droite.

Puisque la plupart des fidèles ne savaient ni lire ni écrire, il importait de leur offrir des images corroborant le message entendu en chaire. Les sculptures, peintures, chemins de croix, fresques remplissaient alors cette fonction pédagogique.

Ici, cette curieuse fresque a dû interroger bien des fidèles. Que pouvaient signifier ces sirènes hommes ou femmes à demi-nus, le corps terminé en queue de poisson ? Elles semblent les "bonnes fées" prêtes à recevoir les éventuels naufragés pour les conduire à bon port, sur le rivage voisin. La barque paraît bien secouée par les eaux et la voile gonflée par un vent impétueux.

Plusieurs textes bibliques se situent sur les eaux. Citons de mémoire : Jonas avalé puis recraché par "un grand poisson", l'épisode de la scène miraculeuse et celle du "presque" naufrage...

Plutôt perplexe face à cette œuvre**, nous nous sommes alors tournés vers des spécialistes qui ont eu la délicatesse d'éclairer notre lanterne de curieux d'histoire.

Voici les apports de ces spécialistes :

- Selon Sophie Providoli, historienne d'art :

Lorsque j'ai vu la grande jambe dans l'eau, j'ai pensé à saint Christophe. Même identification donnée dans Kunsthist. Institut der Universität Zürich (hrsg.) "Die Stadt Leuk" (Reihe Schweizerische Kunstführer GSK), p.20-21.

Peut-être dans Blickpunkt Leuk il y a également quelque chose. Je n'ai pas la publication à disposition. Pour l'inscription, rien n'est indiqué dans le guide GSK.

Je viens de regarder les lettres sur grand écran et en haute résolution. Certaines lettres sont lisibles d'autres plus au moins puis certaines pas du tout. Je lis: ...r dill(?) r(?)etug(?) ..a..... neue ..tor

Ça a l'air d'être de l'allemand, mais ça veut rien dire du tout.....

Je suis vraiment désolée.... Je te conseille de voir avec Hans-Robert Ammann, ancien archiviste cantonal.

- Selon Hans-Robert Ammann, ancien archiviste cantonal du Valais :

Je pense qu’il s’agit d’un saint Christophe qui traverse l’eau avec la représentation d’êtres fantastiques. Pour plus d’informations, il faudrait comparer cette fresque avec d’autres représentations du saint à la fin du Moyen Age. La personne qui pourrait certainement mieux vous renseigner est Madame Carmela Ackermann Kuonen, qui travaille à l’inventaire des Monuments d’art du Haut-Valais et qui habite le canton de Berne.

- Selon Carmela Ackermann Kuonen, historienne de l'art (traduction Deepl):

Malheureusement, je ne peux pas donner d'autres indications sur la répartition de l'inscription dans l'église de Loèche. J'ai cependant rassemblé quelques informations sur les représentations dans l'eau. À mon avis, il est certain qu'il s'agit d'une représentation de Saint Christophe.

La représentation de Saint Christophe portant l'enfant Jésus a été prolongée à la fin du Moyen-Âge par un épisode de la légende de Saint Christophe. Saint Christophe, qui a transporté les pèlerins et finalement l'enfant Jésus à travers une rivière en furie, se tient dans l'eau, ce que rendent visibles les lignes ondulées, les créatures aquatiques et aussi les sirènes. Elles peuvent avoir une ou deux queues, mais n'apparaissent que rarement sous forme masculine. À l'origine, les bêtes et les sirènes indiquaient le danger et la tentation. Mais sur les tableaux de la fin du Moyen Âge, la sirène est interprétée à la manière d'une drôlerie. Il n'indique plus la menace de la tentation.

La représentation du navire était également connue au XVe siècle comme appendice, par exemple sur une gravure du maître E.S. Un voilier à un mât, mais vide, et des sirènes sont visibles sur la gravure. Je pense que, dans notre représentation, nous avons affaire à des voyageurs, qui se croient sous la protection spéciale de Saint Christophe, car il était le patron des voyageurs, des porteurs (et de nombreuses professions différentes) dès les premiers temps. C'est pourquoi on retrouve très souvent sa représentation le long des routes commerciales et des chemins de pèlerinage. Entre le XIIIe et le XVIe siècle, Christophorus est également considéré comme le saint patron contre la mort involontaire (c'est-à-dire la mort sans les sacrements de la mort). Le point de vue du malade sur le saint était central et c'est pourquoi Christophe orne de nombreuses façades d'église.

- Suggestion de lecture de Sophie Providoli :

« Des Saints des hommes », l’image des saints dans les Alpes occidentales à la fin du Moyen Age; sous la direction de Simone Baiocco et Marie-Claude Morand

- Selon François-Xavier Amherdt, professeur de théologie à l'université de Fribourg :

Il me suggère de compléter la liste des passages où il est question d'eau :

  • Les pêches miraculeuses des apôtres, sur ordre de Jésus
  • Jésus qui calme la tempête
  • Jésus qui marche sur les eaux

Les chrétiens persécutés se reconnaissaient, notamment dans les catacombes, par le signe du poisson, ICHTHUS en grec (acronyme pour Iésus Christ), Theou = de Dieu, Uios = Fils, Sôter = sauveur; Jésus Christ, Fils de Dieu, Sauveur

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  • Renata Roveretto

    Une belle fresque sous diverses angles !

  • Nicolas Perruchoud

    Pierre-Marie a repéré une œuvre d'une créativité déconcertante : elle ne renvoie à aucune scène biblique précise. Elle baigne dans une atmosphère de louange et de ferveur optimiste. On est bien loin de la gravité du Jugement dernier que Hans Rinischer a peint, en 1510, à la Burgkirsche de Rarogne. En rien semblable à la quasi contemporaine Nef des fous de Jérôme Bosch, le navire emporte avec allégresse vers la rive céleste des personnages sereins. Imagination débridée, foi apaisée et presque extatique, on a ici décidément un aspect du Moyen Age finissant qu'on ne voit pas souvent.C'est aussi, me semble-t-il, un hymne de toute la création à la Source de la vie. Dernière réflexion : dans la Genèse, l'eau est créée avant la terre ferme. En bref, une œuvre splendide !

  • Pierre-Marie Epiney

    commentaire de Sophie Providoli, historienne de l'art : 1ère idée lorsque j'ai vu la grande jambe dans l'eau: saint Christophe. Même identification donnée dans Kunsthist. Institut der Universität Zürich (hrsg.) "Die Stadt Leuk" (Reihe Schweizerische Kunstführer GSK), p.20-21. Peut-être dans Blickpunkt Leuk il y a également qqch. Je n'ai pas la publication à disposition. Pour l'inscription, rien n'est indiqué dans le guide GSK.

    • Pierre-Marie Epiney

      suite de Sophie : Je viens de regarder les lettres sur grand écran et en haute résolution. Certaines lettres sont lisibles d'autres plus au moins puis certaines pas du tout. Je lis: ...r dill(?) r(?)etug(?) ..a..... neue ..tor Ça a l'aire d'être de l'allemand, mais ça veut rien dire du tout..... Suis vraiment dsl.... je te conseille de voir avec Hans-Robert Ammann, ancien archiviste cantonal.

  • Pierre-Marie Epiney

    Message de Hans-Robert Ammann, ancien archiviste cantonal du Valais : Je pense qu’il s’agit d’un saint Christophe qui traverse l’eau avec la représentation d’êtres fantastiques. Pour plus d’informations, il faudrait comparer cette fresque avec d’autres représentations du saint à la fin du Moyen Age. La personne qui pourrait certainement mieux vous renseigner est Madame Carmela Ackermann Kuonen, qui travaille à l’inventaire des Monuments d’art du Haut-Valais et qui habite le canton de Berne.

Pierre-Marie Epiney
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15 juin 2020
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