Le rossignol de Sibérie
Le rossignol de Sibérie
Original : Film 16 mm ; noir/blanc ; sonore ; 320 m, 30’
Le titre du film de Paratte reprend celui d’un texte que le poète Arthur Nicolet (1912 - 1958) avait consacré à ses cousins, les luthiers Werner Jacot (1899 - 1983) et Alex Jacot (1906 - 1977), et dont voici un extrait :
« L’enseigne des luthiers Jacot, dans un patelin perdu non loin de Pontarlier, est précisément un rossignol perché sur la plus haute gamme d’un violon tzigane. Que chante-t-il ce rossignol en Sibérie ?
J’entends des violons
Dans la plaine des Hongres
Et la plainte des loups
Dans la forêt des Bougres.
Sous la porte voûtée, dans ce village qui porte un nom chevaleresque, Les Bayards, au bout du Val de Traviole, voici que nous entrons dans un atelier d’art. Orné de tableaux du Breughel moderne, qui signe Lermite, le mur bientôt se couvre de violons et de reflets de violons dont les sonorités n’attendent que le doigt du destin.
Nous voici au mélodieux royaume de Mélusine et de Merlin, où Stradivarius nous laisse toucher légèrement au secret de son art. Car, nous diront les luthiers Jacot, ce ne sont point quelque laque chinoise, ni quelque antique vernis oublié dans la nuit étoilée des siècles, qui ont fait la gloire du violon. Quant à la qualité de l’épicéa germanique ou bohémien, ou encore tyrolien, pourquoi chercher si loin ce que l’on trouve chez soi?»
Issus d’une famille paysanne établie aux Petites-Crosettes (La Chaux-de-Fonds), les deux frères s’installent dans le Val-de-Travers en 1945. Une condamnation pour objection de conscience avait poussé Werner Jacot, suivi de son frère Alex, à quitter le canton de Vaud où la grande crise économique les avait conduits en 1932, abandonnant leur atelier chaux-de-fonnier.
Leur travail fut récompensé par des prix ou des mentions aux expositions de lutherie de Genève (1927), Zurich (1939), La Haye (1944) et Crémone (1949).
En 1927 déjà, les frères Jacot avaient fait établir un film publicitaire vantant leur artisanat sous la forme d’une fiction, Le violon cassé (voir FN 1, no 71). Le Rossignol de Sibérie, en revanche, est une production libre, qu’André Paratte entreprit après avoir été présenté aux luthiers par Charles Guyot, l’instituteur du village voisin des Taillères filmé par Henry Brandt dans Quand nous étions petits enfants (1960). Selon le cinéaste, les deux frères étaient des personnages plutôt secrets, voire méfiants, ce qui expliquerait qu’on ne les entende pas dans le film, où le cinéaste a mis l’accent sur la beauté du lent travail de fabrication d’un violon, ainsi que sur l’ambiance particulière, à la fois silencieuse, austère et chaleureuse, propre à la région et à la maison que les luthiers partageaient avec leur sœur. Selon Freddy Buache, « malgré quelques maladresses, le cinéaste capte le génie du lieu, signant ainsi son meilleur film ». Le commentaire avait été confié d’abord à l’auteure provençale Marie Mauron (1896 - 1986), amie des luthiers, qui livra tardivement une version qu’elle avait écrite sans prendre connaissance des images, ce qui conduisit Paratte à rédiger lui-même le texte dit par le comédien Louis Beyler.
En août 1964, Le Rossignol de Sibérie reçut une prime du Département fédéral de l’intérieur et fut présenté au Festival international du film de Locarno. Né en 1927, le compositeur Erik Székely vit à Neuchâtel depuis 1939. Son œuvre de composition lui a valu de nombreux prix, comme ceux de Vercelli (1951), Gênes (1952) et Liège (1953). En parallèle, Székely a enseigné la musique dans les écoles du canton de Neuchâtel, notamment au Gymnase Cantonal de Neuchâtel, de 1960 à 1989.
Réf. Aude Joseph avec la collab. de Roland Cosandey, Neuchâtel, un canton en images : filmographie tome 2 (1950-1970), Neuchâtel, Alphil , 2019.
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