La tête du Major Davel
L'histoire a ses mystères. On connaît ceux qui entourent l'identité du Masque de fer ou d'Anastasia Romanova de Russie. La composante tragique de ces destins romanesques amplifie encore la fascination que le public leur témoigne.
En Suisse aussi, certaines énigmes subsistent. Le vol de la pierre d'Ursprunnen constitue une affaire retentissante*. Loin de l'agitation politique, les mystères historiques grossissent souvent en l'absence de documentation. Sans sources tangibles, les spéculations vont bon train.*
La perquisition dans un laboratoire d'apothicaire
La décapitation du Major Davel, survenue il y a trois siècles jour pour jour, offre une occasion de s'interroger sur les sources de l'histoire.
En 1998, l’historien Olivier F. Dubuis, alors assistant à Faculté des lettres de Lausanne, dévoile un document inédit, conservé aux Archives cantonales vaudoises.
À l’occasion d’une perquisition menée en 1725 chez l'apothicaire Mercier, les autorités découvrent du matériel servant à fabriquer de la fausse monnaie – un crime puni de mort – ainsi qu'une tête humaine conservée dans plusieurs pots de laboratoire.
La tête du Major Davel
L'interrogatoire de l'apothicaire donne des détails précis sur la macabre découverte :
Couvert de papier, où il y avait au dessus du sel cristallisé, laquelle peau a tout d’abord paru celle d’une loutre, et ayant été examinée on y a vu les deux oreilles entières, les trous des yeux, du nez et la bouche d’une personne; et du poil au menton, et le dessus de la tête rasée. Plus dans un autre pot, la langue et la mâchoire inférieure. Plus dans un autre endroit une partie du squelette de la tête qui était percée soit gâtée au dessus.
Les autorités qui espéraient mettre la main sur un faussaire ne se doutent pas que ces restes humains appartiennent au héros de l'Indépendance vaudoise.
Acculé, l'apothicaire raconte le vol de la tête du Major Davel au gibet de Vidy. Perpétré de nuit par une petite troupe d'hommes qui cherchait à donner une digne sépulture au Major, dont ils étaient proches, le larcin n'a pas donné de suites.
Au nom de la science
Le témoignage de Mercier se poursuit. Il explique alors que c'est au nom de la science, qu'il retourne déterrer la tête du condamné. En effet, l'apothicaire, curieux de médecine, désirait pratiquer une dissection, comme le faisaient les médecins. C'est donc au nom de la connaissance médicale, qu'il s'approprie le crâne de Davel, qu'il conserve et montre aux confrères qui lui rendent visite dans son laboratoire.
La justice criminelle de Lausanne, étroitement contrôlée par Leurs Excellences de Berne, ne donne aucune suite au geste de Mercier. (...) Sa tête fut juste rendue au bourreau pour qu ’il la brûle et l’enterre sous le gibet où avait été enseveli le corps du supplicié sept ans plus tôt, comme c’était l’usage» précise Olivier F. Dubuis.
Pas de représentation graphique
L'anecdote n'a semble-t-il pas laissé de représentation graphique. En ce jour de commémoration du tricentenaire de la disparition du Major Davel, une requête a été faite à l'intelligence artificielle Dall-E de la firme OpenAI.
A quoi ressemblerait une gravure d'époque montrant la tête de Davel conservée dans le laboratoire de Mercier?
Cette démarche de reconstruction historique autour du Major Davel peut sembler incongrue, car après tout l'histoire a en commun avec l'Emmental d'avoir des trous qui lui donnent toute sa saveur! Mais elle ouvre aussi la discussion sur les outils à disposition des historiennes et des historiens.
Les représentations historiques de Dall-E
Parmi les résultats fournis par Dall-E, on remarquera que l'intelligence artificielle a parfaitement su exploiter des codes visuels de la gravure ancienne.
Le rehaut de couleur parfois imprécis est très caractéristique des gravures populaires du 18e siècle. Les images pieuses ou les ex-voto, largement diffusés par l'imprimerie, constituent vraisemblablement la source à partir de laquelle Dalle-E a oeuvré.
La tradition picturale des* vanités*, ces tableaux qui rappellent l'éphémère condition de l'existence humaine est aussi bien analysée par Dall-E qui propose une autre version de la tête de Davel dans ce style, empruntant une composition assez figée que l'on retrouve notamment cher le graveur allemand Gerhard Altzenbach.
Sources
Jocelyn Rochat, "Le Major Davel avait perdu la tête, voici comment et par qui elle fut volée" , in Allez savoir!, n°10, janvier 1998.
scriptorium.bcu-lausanne.ch/s/...
Cet épisode macabre est mentionné dans les ouvrages récents d'Antonin Scherrer Davel : Des brumes de l'oubli aux feux de l'opéra (Favre, 2020) et Corinne Chuard Davel : héros vaudois (Infolio, 2022).
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