Anniviers, par Hildebrand Schiner
DESCRIPTION DU DEPARTEMENT DU SIMPLON
Hildebrand Schiner (1754-1819)
En 1812, Hildebrand Schiner publie sa fameuse Description du département du Simplon ou de la ci-devant république du Valais.
Cet ouvrage est volumineux, brouillon mais plein de saveur et de renseignements précieux qui en font une œuvre majeure pour la connaissance du Valais du début du 19e siècle.
L'auteur le présente ainsi : « Je vous offre ici, chers Lecteurs, la description de tous les hameaux, villages, villes et châteaux de ce pays, leurs particularités respectives, les mœurs, la nourriture, les habillements, les coutumes, culte et commerce de leurs habitants, avec les produits naturels et artificiels des différentes contrées ; je me servirai de la langue française, non pour avoir l'idée de la bien posséder ; mais parce que ce pays venant d'être réuni au grand Empire français, il me paraît convenir d'adopter son idiome ».
Après des considérations générales, Schiner donne une description topographique du pays et parsème ses informations d'anecdotes.
Lors de sa parution il reçoit un accueil mitigé. Le chanoine de Rivaz administre à son auteur une volée de bois vert : « écrit en mauvais style français où il pêche à tout moment contre les règles les plus communes de la grammaire et de l'orthographe en sorte que son ouvrage est le plus fautif et le plus plat qui ait paru depuis cent ans en cette langue [...] »
Tiré à 4'000 exemplaires, il ne se vend pas : « la pièce est sifflée et l'ouvrage ne trouve presque point de débit. L'auteur n'y perd que la fortune chimérique et la grande réputation qu'il s'en promettait. » (De Rivaz, t. I, p. 320)
Jean-Henry Papilloud 21/11/2000 Voir également l' Encyclopédie du Valais
...Enfin poursuivant la route depuis ce village du côté du levant, après avoir dépassé le torrent sur un pont et une chapelle sur la hauteur, on entre dans un sentier étroit, au travers des ruines pierreuses, et directement sur le Rhône, qui les touche, et l'on finit de parcourir ainsi la plaine du Canton de Sierre.
Mais revenons, et rendons-nous à Vercorin par une montée de deux lieues. Ce village est grand, son église est dédiée à St. Boniface, qui en est le patron. Le chemin, qui y conduit, est fort pierreux, et promène le voyageur par des zigzags continuels et très rapides, jusqu'à la chapelle , qui se trouve sur cette route, et depuis où la route semble devenir meilleure. Ce village est placé dans une belle plaine ; là s'élève avec art et beauté la grande maison de campagne du défunt Général Pancrace de Courten de Sierre, où dans le temps des chaleurs, il allait avec toute sa noble famille, respirer le frais et la tranquillité.
Après avoir dépassé les prés situés derrière Vercorin, au bout d'une demi lieue, on vient à une grande forêt, pour pénétrer enfin dans la vallée d'Anniviers ; au bout de cette colline méridionale de Vercorin, et au creux de la dite forêt, avant de donner le contour sur l'autre rive, jaillit une petite source qui arrose l'herbe toujours verdoyante à l'ombre de quelques beaux arbres de sapins et de mélèzes. C'est là, que je me rendais quelquefois à cheval pendant la fraîcheur du matin, et y restais plusieurs heures, m'amusant à la lecture de quelque livre instructif, tandis que mon cheval broutait l'herbe verdoyante, attaché à un arbre tout près de moi, par le moyen d'une longue corde. Là je jouissais d'une ombre continuelle et fraîche; dans ce lieu isolé, il me semblait que je composais avec mon cheval et mon livre, le monde tout entier. Cette solitude me paraissait avoir quelque chose de sacré, de majestueux, à quoi se joignait le profond silence de la nature, que rien ne troublait, sinon par fois le chant de quelques petits oiseaux, sur les branches d'un arbre voisin. Là enfin, je m'abandonnai tout entier à quelque méditation profonde; ô que ce souvenir m'est encore agréable!
Cependant il n'est pas pur, il se mêle à celui qui me représente la tempête qui m'y surprit une fois ; car un jour comme à l'ordinaire, m'étant rendu dans ce lieu enchanteur avec mon cher petit cheval, j'y restai jusque vers les sept heures du matin, alors tout-à-coup s'élèvent au-dessus de ma tête de sombres nuages, qui me dérobent le jour; pour éviter l'orage qui menaçait, je bride mon cheval, le monte, et reviens sur mes pas. A peine suis-je en route, que le ciel gronde, la foudre éclate et tombe; de tout côté je voyais le trépas, je voyais les ombres sillonnées par des subits éclairs, qui rendaient encore plus sombre le ciel après leur disparition. Enfin, sans laisser prendre le galop à mon cheval, qui le voulait sans cesse, plein de frayeur, j'arrive chez moi, où tout le monde m'attendait avec inquiétude; là, je respire, comme sortant des ombres de la mort. Aussi, jamais je n'ai vu, ni lu la description d'une pareille tempête. Cette forêt porte le nom expressif de la Creusa; car en effet, elle est située dans un grand enfoncement, ou creux.
A la sortie de cette forêt en montant, on trouve le village de Pain-sec, qui est tellement dressé contre la montagne, qu'il y parait cloué; on y descend par un chemin pierreux et fort rapide ; ce village est le premier de la vallée d'Anniviers ; les maisons y sont toutes petites et basses ; il n'y a pas d'autres biens dans cette contrée que des prairies. La juridiction appartenait jusqu'à ces derniers temps, au vénérable Chapitre de Sion, qui y établissait un Vidame de deux en deux ans, tiré du corps des Chanoines capitulant; ce Chapitre avait le même droit à Cordona, village du même dizain. Les habitants de Painsec sont braves gens, mais un peu grossiers; ils y parlent un jargon français presque inintelligible.
De là s'avançant toujours de plus en plus dans la vallée, par un chemin pierreux d'une lieue de longueur, on arrive enfin au chef-lieu de toute la vallée à Anniviers, c'est-à-dire, à Vissoye. Il y a d'abord dans ce village une belle église neuve dédiée à Ste. Euphémie, comme patronne du lieu, elle est grande et gaie.
Au-dessous de ce village assez grand et bien bâti, se précipite avec grand bruit la Navizence. Cette vallée, en pénétrant davantage, se divise en deux branches, dont l'une s'appelle Ayer, et l'autre Grimentz, prennent chacun le nom de son principal village, leurs sommets sont couverts de glaciers.
Cette vallée possède quelques champs, de belles et fertiles prairies, de riches montagnes, couvertes de gras pâturages où les troupeaux des habitants broutent l'herbe pendant les beaux mois de l'année. C'est là qu'on fait les plus gros fromages du pays, ils les appellent Prémices, parce qu'ils donnent au Curé, comme prémices du fruit de la montagne, le premier fromage, qui se fait de tout le lait d'un jour entier de toutes les vaches de chaque montagne. Il n'est pas rare de voir de ces sortes de fromages peser jusqu'à cent-vingt livres, et plus ; mais ordinairement ces fromages ne sont jamais bien faits, et ne se conservent pas longtemps.
Les villages d'Ayer et de Grimentz sont au fond de cette vallée ; tous deux sont d'une grandeur médiocre, et pour ainsi dire, au pied des glaciers. Les chemins qui y conduisent sont pierreux et rapides ; mais n'ayant rien qui puisse piquer la curiosité, je ne m'y arrêterai pas; je redescends donc au chef-lieu, où je m'arrêterai pour y faire encore une observation sur les usages particuliers de la vallée. Un usage tout inouï qui s'y observe, est Celui par lequel les personnes mariées vivent très frugalement pendant tout le temps de leur mariage , et cela, comme ils disent, pour pouvoir bien faire enterrer les leurs ; car ils donnent les jours de l'enterrement et du septième d'un adulte, de grandissimes repas à une centaine de personnes au moins ; tout abonde dans ces sortes de festins ; le bon vin vieux y pétille dans les verres ; des bouillis, des rôtis , des plats de toute espèce couvrent toute la table, autour de laquelle est une populace en bon appétit. On commence le repas par le fromage rôti, on le finit de même. L'on assaisonne les viandes avec du miel qu'on étend par dessus; tout y est en profusion, et sans épargne ces jours-là; il semble, qu'ils veuillent absorber les longues épargnes du décédé, et convertir ses funérailles en fêtes.
Il y avait de plus, proche de Vissoie, le château appelé Périgard, situé sur un rocher très élevé, mais qui fut détruit dans la guerre des M.rs de Raronia, par les Valaisans, en 1417; j'ai dit ailleurs, que cette vallée appartenait à cette famille.
Sortant ensuite de ce village et de la vallée, on voit sur la hauteur de la montagne, placée sur la rive droite du torrent, le grand village de Luc, qui fait aujourd'hui une nouvelle paroisse, séparée de celle de Vissoie, dont elle est filiale, et envers laquelle elle subit quelques conditions. C'est un beau et grand village, mais le chemin qui y conduit, est rapide et pierreux; il a beaucoup de champs dans ses environs, ainsi que des parcours très fertiles.
Descendant ensuite de ce village on passe par une route à côté des rochers d'une hauteur prodigieuse et coupée à pic, où elle parait être suspendue en quelques endroits à plus de cent toises d'élévation, au-dessous de laquelle s'ouvrent des précipices horribles, ce trajet s'appelle les Ponties. De là on rencontre un petit village, où il y a beaucoup de raccards pour y déposer les grains et la paille; il est sur une plaine couverte de champs et de cerisiers, et s'appelle Jouc (Niouc).
Descendant enfin depuis ce village ou hameau contre Sierre, on arrive par une route assez bonne, mais rapide, dans la forêt de Finge inférieure, et revient à Sierre.
Voir le site: Description du Département du Simplon.
Dossier suggéré par Serge Crettaz, Vissoie & Sion.
Voir: http://xml.memovs.ch/f0005-001.xml
Voir aussi ce document : notrehistoire.ch/entries/3p8DO...