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LA TERRE TREMBLE ET LA LIENNE DÉBORDE

25 janvier 1946
Barthélémy Gillioz
Barthélémy Gillioz

LA TERRE TREMBLE ET LA LIENNE DÉBORDE

Succession de catastrophes

25 janvier 1946

« La nuit a déjà commencé : nuit froide, toute enveloppée de brouillard ; nuit sombre où nul rayon ne filtre d’en haut. La veillée s’égaie sous la lampe électrique, dans la cuisine chaude ; on ne chauffe pas ailleurs.

Soudain, la vaisselle danse sur l’étagère, se brise sur les planelles ; les parois gémissent dans un balancement suspect ; les plâtres tombent, la carafe se dandine drôlement ; les cadres se décrochent ; les statuettes s’écrasent sur le sol ; les bibelots bondissent dans l’armoire vitrée ; la lampe oscille et meurt. On se précipite vers la sortie… »

Nouvelliste Valaisan du 26 janvier 1946

En effet, le vendredi soir 25 janvier 1946, un violent séisme, le plus fort depuis celui de Bâle en 1911 et de Neuchâtel en 1925, jette la panique dans toute la Suisse, et tout spécialement dans le Valais central ; il touche également l’Alsace, le sud-est de la France jusqu’à Grenoble et Lyon, ainsi que le nord de l’Italie. L’épicentre de ce tremblement de terre se situe entre les villes de Sion et de Sierre et atteint la cote de 6,1 sur l’échelle de Richter.

C’est très précisément à 18h32 que survient la première secousse :

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« Tout d’un coup, les portes du buffet se sont ouvertes comme un accordéon. »

« C’était affreux. On était à la cuisine tout seuls, sans les parents ; ça a branlé, plus de lumière, on était incapable de trouver la sortie. On est resté sur le lit, on a prié. »

« J’étais à la cave, je suis remonté en vitesse et quand je suis sorti, la cheminée m’est tombée devant le nez. »

« J’étais à l’écurie avec maman quand c’est arrivé : le chien s’est mis à pleurer, les vaches tiraient les chaînes en arrière, le lisier balançait… »

« Papa travaillait à la mine de Grône, ils ont cru que c’était une explosion dans la mine. Quand il est arrivé à la maison, il était blanc comme un mort. Il a dit : « Tous dans le même lit, si on meurt, on est tous ensemble… »

« J’étais allé acheter une bouteille de vin à la boulangerie avec un copain quand c’est arrivé ; j’ai laissé tomber la bouteille et un grand tas de bois a failli nous tomber dessus. »

Cette secousse est suivie d’une quantité d’autres – on parle de 56 répliques – qui se succèdent jusqu’au lendemain matin, si bien que l’on peut dire que la terre a tremblé sans arrêt cette nuit-là, et plus particulièrement vers 20h25, 22h40 et 04h15. Le Nouvelliste Valaisan du 27 janvier 1946 parle de « frissonnements plus ou moins perceptibles, de coups brefs et durs, de sourds grognements rappelant le bruit fait par un ouragan. » Ce bruit caractéristique est d’ailleurs resté bien ancré dans la mémoire de ceux qui ont vécu ces moments d’angoisse.

A St-Léonard, comme ailleurs dans la région, les gens abandonnent les maisons en pierre pour se réfugier dans des écuries ou chez des voisins ayant des maisons en bois ; ils vont également dans les cafés restés ouverts ou dans un pré autour d’un feu.

« Le chien a tellement eu peur qu’il s’est entortillé autour de maman avec la laisse… On est tous sortis dans le pré autour d’un grand feu avec des couvertures en haut par-dessus. On avait envie d’être ensemble. »

« Papa s’est mis contre la porte et ne nous a pas laissés sortir. Beaucoup se sont réfugiés à la Vinicole pour pouvoir sortir facilement à plain-pied. »

« Tout le monde est vite sorti, beaucoup sont allés chez Marini parce que chez lui, c’était du bois dessous, ils avaient fait un chalet et après ils avaient fait du béton dessus, alors ils disaient : « Le bois craque mais ne tombe pas. »

« C’était un vendredi, ce jour-là, on avait toujours des calculs avec le régent Jean-Baptiste ; j’étais en train de faire les devoirs, le frangin lisait le journal, quand c’est arrivé. Sur la table, il y avait un bidon de lait avec 3 litres dedans ; il ne restait plus qu’un litre… Pour finir, on est tous partis vers le tilleul près de la Cible ; après, on est revenu à la maison, mais sans pouvoir dormir. »

« On est tous parti à l’écurie de Denis Bétrisey, ils avaient armé la dalle au-dessus. »

« On a descendu des matelas à l’écurie et on a dormi là peut-être trois nuits. »

« On est allé à l’écurie pour être plus vite dehors et pour être au chaud."

« Il y avait plein de monde dans la forge à papa ; papa disait que jamais cette maison tomberait. »

Du samedi matin au dimanche matin, l’activité sismique diminue progressivement ; on parle de dix secousses, dont les plus fortes, quoique de moindre intensité, ont lieu à 11h15 et à 13h05 ; elles continuent toute la journée et toute la soirée du dimanche, mais de moins en moins violentes, les dernières étant presque imperceptibles.

« Vers 5 h du matin, est arrivée une secouée : tous dehors ! Maman avait emballé mon petit frère dans un paletot à papa. Le voisin avait une montre et il nous faisait peur : « Dans trois minutes, il va y en avoir une autre… »

« Quand il y a eu la forte réplique du lendemain matin, ceux qui étaient à la Vinicole n’ont pas pu sortir, parce que la porte s’ouvrait en dedans et que tout le monde poussait… »

« Il y a eu une secousse à 4h du matin ; moi je n’ai plus porté les pieds à la maison. »

« On a passé la deuxième nuit à l’écurie, comme ça si jamais, on était à plain-pied. Maman est restée seule à la maison, elle disait : si je dois mourir, je meurs ici… »

« Il n’y avait pas de télé, pas de radio, alors on ne savait pas au juste ce qui se passait, les bruits couraient, se déformaient… »

« Le lendemain à l’école, tu passais le bras dans le mur fendu. »

« Le dimanche après [le 3 février], ils ont dit la messe en plein air parce qu’ils avaient peur ; il n’y a jamais eu autant de monde. »

Le village de St-Léonard, comme ceux des alentours, doit déplorer quelques bâtiments à reconstruire, de nombreuses cheminées renversées ou fissurées, des toitures endommagées, des fissures au niveau des façades, mais surtout à l’intérieur des maisons, cages d’escalier, galandages ou murs de séparation, spécialement dans les étages supérieurs. Au total, ce sont 87 maisons ou appartements qui sont touchés.

« L’impression produite par le séisme du 25 janvier 1946 fut très forte, en particulier dans la région de Sion-Sierre-Montana. On le comprend aisément car les séismes violents sont très rares chez nous, on n’en avait plus ressenti depuis 1855 : dès lors l’ignorance de ces phénomènes était générale ; la presse répandit beaucoup d’idées fausses, absurdes même, et les illusions dues à la peur furent nombreuses. (…) Beaucoup enfin virent dans ce séisme une punition divine, sans trop se demander pourquoi elle atteignait les innocents comme les coupables et surtout les églises. »

Ignace Mariétan in Bulletin de la Murithienne, cité par le Nouvelliste du 15 mai 2015, Valais 1815-2015

30 mai 1946, jour de l’Ascension

Depuis cette fin janvier dramatique, qui a occasionné au canton des dégâts évalués à 6 millions de francs, la terre continue de trembler à peu près chaque semaine, mais sans violence. La population n’est pourtant pas tranquillisée, car elle sent bien que le cauchemar peut recommencer.

Et c’est ce qui se passe quatre mois plus tard, au matin du jeudi 30 mai 1946, jour de l’Ascension : c’est, vers 01h40, une première secousse qui met toute la population en état d’alerte, puis une autre vers 04h40, plus forte que la précédente, mais n’ayant rien à voir avec l’intensité de celle du 25 janvier, et enfin une troisième vers 10h50. D’une manière générale, la population, qui semble savoir maintenant à quoi s’en tenir, s’affole beaucoup moins qu’en janvier.

« C’est dans la région du Rawyl, où certains géologues situent le foyer du séisme, que les dommages apparaissent les plus graves. Toute cette contrée a été ravagée. Les alpages situés sur le territoire de la commune d’Ayent, en particulier celui de Serin, sont méconnaissables. Le terrain est jonché de pierres, de terre et de matériaux descendus de la montagne. Les chalets, inhabités à cette saison, ont été emportés… »

Nouvelliste Valaisan du 1er juin 1946

« Je me souviens d’une réplique le jour de l’Ascension 1946, je dormais chez ma grand-mère ; à 5h30 du matin, on est parti communier. »

« Plus tard, à l’Ascension, on est allé en bas à l’écurie, il y avait de la ferraille dans le plafond. »

« A la réplique du mois de mai, on était au mayen à Vercorin ; on a vu descendre le Rawyl. »

10 juin 1946, lundi de Pentecôte

L’année 1946 est vraiment restée gravée dans les mémoires, avec la désagréable impression de se tirer d’un mauvais pas pour tomber aussitôt dans d’autres difficultés. Ainsi, après la guerre, après la terre qui tremble, voici l’eau qui inonde. Le 10 juin 1946, un lundi de Pentecôte, soit seulement 10 jours après les dernières secousses sismiques, tout le village est sur pied pour faire face à un gros risque d’inondation.

Georgy Constantin, sollicité en 2007 pour parler du FC St-Léonard à l’occasion du 75ème anniversaire de ce club, évoque le titre de champion valaisan de 3ème ligue obtenu par nos couleurs, qui accèdent ainsi à la ligue supérieure ; puis, il souligne avec émotion la collision entre la liesse des footballeurs et le nouveau drame qui frappe le village :

« Ce soir-là, la Lienne commença à déborder à la suite d’un violent orage. Les eaux boueuses avaient grossi démesurément le courant. Les souches et les troncs emportés par les flots en furie se faisaient balancer comme des fétus de paille. Les gens s’affairaient à garnir de blocs de pierre et de sacs de sable les rives aux endroits menaçants. Les sportifs triomphants durent écourter les heures de liesse en participant avec détermination aux mesures sécuritaires. »

« Je me souviens de la Lienne qui débordait ; Agnès Morand venait apporter du café à tous les hommes qui empilaient les sacs ; ils ont dû travailler toute la nuit. »

La religion pour lutter contre le fléau

L’inondation est certes évitée, mais les esprits sont frappés par la succession des catastrophes et les cafetiers de St-Léonard et d’Uvrier n’hésitent pas à donner une suite favorable à la lettre du Curé Oggier, qui leur demande de fermer les cafés pendant toute la journée et la soirée du dimanche 16 juin 1946, fête de la Sainte-Trinité, décrétée journée officielle de prières et de pénitence dans tout le diocèse, pour que cesse enfin le fléau.

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Pierre-Marie Epiney
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10 novembre 2021
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