Hommage à Joseph
POUR JOSEPH SAVIOZ
En apprenant ta mort, Joseph mon ami, je me suis dit que plusieurs générations d'Anniviers avaient une immense dette envers toi. En l'évoquant, je ne parlerais ni de tes fonctions officielles au Conseil de Fabrique, ni comme Juge de commune, mais d'autres héritages que tu nous as précieusement légués.
Malgré une enfance dure et difficile avec ta chère maman Joséphine, tu as dépassé tout sentiment de révolte pour cultiver la joie de vivre, l' attention aux autres, le sens aigu du dialogue. Tu as participé de façon éminente à la vie sociale en continuant la vieille tradition théâtrale d'Anniviers. Tu fus un acteur exceptionnel, ce qui te valut un voyage célèbre à Paris au temps de la « Coupe de la Joie ». Si le théâtre anniviard n'est pas mort, nous te devons beaucoup, transmettant en plus à l'un de tes fils les dons de comédien qui furent les tiens. Comme tu as transmis à l'une de tes filles tes talents artistiques dans la peinture et la sculpture.
Notre dette envers toi est infinie par ta passion de la haute montagne. Comme alpiniste amateur, avec tes talents extraordinaires de grimpeur, tu as su initier de multiples Anniviards à la conquête des sommets. Que de courses mémorables avons-nous faites ensemble ! Devenu ensuite guide professionnel, dans un moment crucial de la profession, tu as entraîné derrière toi tout une génération de jeunes guides. Tu as fait connaître de nouvelles voies dans les ascensions connues, tu as voyagé à travers toutes les Alpes, tu as laissé des souvenirs de cordées inoubliables. Dans ta modestie, tu fus un tout grand guide de haute montagne.
De toutes nos dettes envers toi, il m'en faut retenir une que tu as poussée à un talent extrême dans la plus pure tradition anniviarde : c'est le sens du rire et de la farce. Tes dons de farceur étaient étonnants, où tu as endossé, dans des farces sans cesse renouvelées, les rôles multiples de revenant, de fantôme, de sorcier, de médium, de gendarme, de voleur, et de tant d'autres personnages. Si certains en Anniviers aujourd'hui, dans une époque qui se prend trop au sérieux, ont gardé le sens du rire, de la farce et du comique, c'est à toi que nous le devons et c'est l'un des plus beaux cadeaux.
Mais il me faut le dire ici haut et fort : tu n'as pu accomplir tout cela que par l'amour et la force de Marie-Noëlle et de ta famille exemplaire. Ton épouse a su comme jamais t'aimer, t'aider, te tenir et parfois même te supporter avec un courage inouï. Elle est montée elle-même en altitude comme tenancière de la cabane du Grand-Mountet afin que tu puisses vivre le plus longtemps possible ton environnement montagnard. Et elle t'a accompagné avec énergie dans les douleurs de ta vieillesse.
Au terme d'un café mortel en Belgique, j'ai appris ta mort. J'ai couru à l'église de Sainte-Madeleine près de la gare centrale de Bruxelles. J'ai allumé un cierge et prié la Madone afin qu'elle t'accompagne dans cette ultime ascension. Au comble de l'émotion, j'ai pleuré puis, pardonne-moi ! j'ai éclaté de rire. Car je t'ai imaginé arrivant au Purgatoire en faisant une farce immense aux pauvres êtres de là-bas qui, pour un moment, se sont « bidonnés » comme des fous. A cause de toi, les trépassés ont ri un bon coup. Peut-être même que tu as entraîné au fou-rire, avec tes farces diaboliques retrouvées, le Bon Dieu, les anges, les archanges, les séraphins et tous les saints et saintes du Paradis. Ce sera peut-être cela ton bref purgatoire : faire rire sans cesse jusqu'aux larmes les âmes captives qui attendent la libération.
Merci mon Ami. Que Dieu t'accueille en son Royaume ! Tu l'as plus que mérité !
Bernard Crettaz
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