Eric Monnier et Brigitte Exchaquet-Monnier: « Tout est parti d’un livre d’or et de photos d’archives.»

25 octobre 2013
Claude Zurcher
notreHistoire.ch

Ils signent un livre sur un sujet peu connu de l'après-guerre en Suisse romande. Eric Monnier et Brigitte Exchaquet-Monnier ont conduit une véritable enquête historique pour mettre en lumière l'accueil de près de 500 rescapées françaises des camps de concentration nazis, entre 1945 et 1947. C'est le livre d'or de l'un des neuf centres de convalescence, et des photographies de famille, qui ont permis de reconstituer ces histoires singulières de femmes accueillies en Suisse pour véritablement « revenir à la vie ». Plusieurs de ces documents sont publiés sur notrehistoire.ch.

Votre livre porte un éclairage sur une initiative privée au sortir de la guerre en Suisse romande. Votre travail a commencé de manière surprenante : par la découverte d'un livre d'or.

Brigitte Exchaquet-Monnier. Mon père était médecin à Château d'Oex et nous avions à l'époque une employée de maison qui, avec les années, est devenue un membre de la famille. A l'âge de 94 ans, elle a voulu nous parler d'un épisode de sa vie qu'elle avait gardé secret jusque-là. Elle nous a alors montré le livre d'or du chalet La Gumfluh, à Château d'Oex, où elle avait travaillé. Parmi les signatures, celles de Geneviève de Gaulle, la nièce du général, qui avait été arrêtée par les Allemands pour son action dans la Résistance et déportée à Ravensbrück.

Eric Monnier. C'est à partir de ce livre de dédicaces, et des photographies prises à l'époque à la Gumfluh, que nous avons remonté le fil de l'histoire. Nous sommes partis à la rencontre des derniers témoins de cet épisode de l'accueil des déportées françaises en Suisse romande. Une action qui avait été initiée par l'Association nationale des déportées et internées de la Résistance et par le Comité d'aide en Suisse. Neuf maisons ont été ouvertes à Crassier, Nyon, Montana, Château d'Oex, Villars-sur-Ollon, Le Mont-sur-Lausanne, à Grandchamp, aux Avants et à Fribourg.

Vous avez pu compter sur un témoignage précieux.

B. E.-M. Nous avons en effet découvert des documents inédits mais surtout rencontrés des témoins. Je pense particulièrement à Noëlla Rouget-Peaudau. Elle avait épousé André Rouget qui avait été parmi les initiateurs du Service civil international, une organisation oeuvrant pour la paix.

E. M. Noëlla vit toujours à Genève. Notre travail a véritablement été possible grâce à elle, lorsque nous lui avons demandé de reconnaître les personnes présentes sur des photos prises devant le chalet. Elle a fait un travail magnifique pour nous aider. Noëlla avait connu une longue, une très longue période de silence après la guerre. C'est l'affaire Mariette Paschoud, du nom de ce professeur d'histoire à Lausanne qui avait soutenu des propos révisionnistes au milieu des années 1980, qui l'avait fait réagir. Elle avait alors écrit une lettre dans la Gazette de Lausanne. Après cet épisode, Noëlla Rouget-Peaudau a débuté son travail de témoignage dans les écoles.

Cela dit, nos recherches ont été difficiles alors que près de 500 personnes ont été accueillies dans le cadre de cette opération. Des documents étaient notamment déposés à la Maison du Peuple, à Lausanne, qui abritait le Comité d'aide en Suisse, coordinateur des neufs lieux d'accueil. Or, les archives de la Maison du Peuple n'ont pas été conservées… Il n'existe pas non plus d'archives au Comité d'aide en Suisse.

Comment les autorités ont-elles réagi à l'ouverture de ces maisons?

B. E.-M. Elles étaient bien sûr au courant. Mais il est important de noter que cette action relève d'une initiative privée et que les autorités ne sont donc pas impliquées véritablement. Le canton de Fribourg est le seul à avoir envoyer une délégation officielle lors de l'ouverture du centre à la Villa Saint-François, au Guintzet.

« La Liberté » du 6 février 1946 relate d'ailleurs son inauguration en présence des autorités communales et cantonales, ecclésiastiques et universitaires de Fribourg. Le prévôt de la cathédrale est là pour représenter Mgr Charrière, aux côtés du préfet et du chef de la police. René Bady, professeur de littérature à l'Université, côtoie Paul Girardin, président de la société française de Fribourg, pour souhaiter la bienvenue aux anciennes déportées. Il faut rappeler que Fribourg avait développé des liens profonds avec la France, entretenus grâce à la LUF, la Librairie de l'Université de Fribourg, maison d'édition qui a publié durant la guerre sa collection « Le Cri de la France » et des auteurs tels Pierre Emmanuel, Pierre-Jean Jouve ou Paul Claudel.

E.M. Pour la Confédération, une situation révèle bien l'attitude de Berne. En 1947, une Suissesse qui a compté parmi les gardiennes de Ravensbrück est arrêtée en Allemagne et traduite devant le tribunal de Hambourg qui la condamne à mort. Le Conseil fédéral s'inquiète du sort de cette ressortissante suisse. La polémique enfle au point que des rescapées à Montana écrivent au Conseil fédéral pour apporter leurs témoignages sur les exactions commises par cette femme. Berne leur fait comprendre qu'elles sont accueillies en Suisse et ne doivent pas se mêler de cette affaire, qui les concerne pourtant au premier chef.

Et parmi la population ?

E.M. Elle soutient largement cette action d'accueil. Cela commence par l'intérêt porté aux conférences que Geneviève de Gaulle donne partout en Suisse romande. A chaque fois elle fait salle comble. On se presse pour connaître la réalité des camps et de la Résistance. C'est aussi l'occasion de faire appel à la générosité du public. Ces conférences ont permis de récolter des sommes considérables, près de 160'000 francs à l'époque. Elles ont aussi favorisé une prise de conscience dans la population de la réalité des camps.

B. E.-M. Mais le rapport entre les habitants des villages et les rescapées n'est pas sans équivoque. Nous avons par exemple retrouvé le témoignage d'une habitante de Château d'Oex qui s'étonnait de voir ces femmes porter du rouge à lèvre, alors que les Suissesses n'en avaient pas. Or, pour les rescapées, retrouver une marque de féminité était très important. Le fond de la pensée des Suisses peut se résumer ainsi : oui, on peut les accueillir, mais pas les garder. Elles devront un jour ou l'autre repartir chez elles.

Propos recueillis par Claude Zurcher

Eric Monnier et Brigitte Exchaquet-Monnier, Retour à la vie, l'accueil en Suisse romande d'anciennes déportées françaises de la Résistance, 1945-1947, Editions Alphil (http://www.alphil.com/)

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