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Röstigraben : un obstacle ?

1941
Gossau, Rothenburg, Utwil/Romanshorn
Rose Bünter-Salamin
Ivana Bayard

En guise de préambule à ce document, je vous invite à écouter celui-ci qui évoque l'exil en Suisse allemande d'un authentique Anniviard :

Entre 2007 et 2010, Rose Bünter-Salamin (1927-2012) a tenu un blog sur romandie.com. En février 2012, l'année de son décès, les blogs gratuits ont été effacés. Celui de Rose aurait aussi disparu si sa petite-fille Ivana Bayard n'avait pas eu l'excellente idée de les remettre en forme pour leur donner une seconde vie. Une troisième vie est possible à travers ce site élargissant le public touché.

Le 25 janvier 2010, elle évoque sa découverte de la Suisse allemande :

A 14 ans à Gossau

Petite Sierroise de 14 ans, [nous sommes en 1941] j’allais découvrir les bords du lac de Constance, plus précisément à GOSSAU SG. Pourquoi ce choix ? Au foyer Saint Joseph de notre ville M. l’Abbé Kaufmann séjournait pour prendre du repos. Il était oncle du tenancier de l’hôtel Quellenhof à Gossau. Pour aider ma mère, jeune veuve, il propose de me rendre chez sa famille pour la période de juillet et août. Donc départ pour mon premier grand voyage hors du Valais. M. l’Abbé visage rond, petites lunettes aucune psychologie enfantine… je dis cela, car tout au long de ce voyage il a dégusté, biscuits, chocolat, pour lui tout seul alors que je le regardais avec envie mais rien ne venait….

Arrivée à Gossau. Heureuse surprise : un bel hôtel, famille chaleureuse, trois jeunes filles de 9, 10 et 13 ans. Madame petite, effacée devant son mari qui se mêlait de tout, je le revois encore soulever les couvercles des casseroles, en humer les parfums…

Ma tâche consistait à prendre la poussière à la grande salle à manger des clients, en compagnie de la fille de salle super gentille avec moi. A part cela, chercher le courrier à la poste, jouer avec les jeunes, parcourir les alentours à vélo. Deux mois d’un beau séjour duquel j’ai apporté en Valais, une colonie de « poux ». Première expérience, belle expérience.

A 16 ans, à Rothenburg

16 ans, nouvelle destination. [nous sommes en 1943} Période de guerre. Pour soulager les familles, Pro Juventute se chargeait de placer enfants et adolescents en Suisse allemande afin de décharger les familles qui en faisaient la demande… cela pour la période d’été.

Rendez-vous à la gare de Sierre de tout un convoi d’enfants. Remise de l’étiquette Pro Juventute et départ pour Lucerne, là répartition pour différentes destinations. Pour moi Rothenburg. Le voyage : un vrai plaisir, pique-nique, chants, excitation. Gilberte de Bluche, 12 ans, si fière de son premier soutien-gorge que je lui demande d’aller retirer aux toilettes car à son âge pas de cette lingerie….. elle m’en a fait longtemps le reproche… eh… eh...

Les mois de juillet et août un vrai plaisir. La famille vivait dans une magnifique villa, dont une partie de l’immeuble servait d’office postal. Madame, jeune veuve, en était responsable. Trois jeunes, deux garçons et une jeune fille de mon âge. Comme nous vivions en période de guerre, dans la commune était aménagé un camp de réfugiés polonais et un contingent de soldats-officiers suisses. Ma nouvelle famille adorait les fêtes et organisait de petits bals privés à la villa. Une semaine pour les officiers polonais qui pratiquaient le « baisemain » et la semaine suivante pour les officiers suisses. Maryline, fille de mon âge, me prêtait pour la soirée une de ses belles robes.

Beaucoup de balades d’excursions (Pilatus), visite de la ville de Lucerne. Chaque semaine rendez-vous dans une ferme des alentours pour l’acquisition de pain tout droit sorti du grand four au feu de bois et la superbe tarte aux fruits qui envahissait de son odeur, papilles et odorats... Que sont devenus les enfants de cette famille qui m’a beaucoup apporté ? Rubi l’aîné a fait carrière dans les postes, Walty connaît la célébrité comme artiste sculpteur, Maryline a fondé une famille, elle et son mari sont devenus médecins... J’ai parfois encore des contacts surtout avec Rubi qui autrefois a travaillé comme stagiaire à la poste de Chippis. Tous les enfants placés, n’ont pas eu ma chance….

et du 11 mars 2010:

Ces placements n’étaient pas toujours judicieux. Cela dépendait de la famille d’accueil. Pour moi à Rothenburg c’était joie, découverte. Pour mon frère Michel, chez les paysans dans la région de Lucerne, travail rude à tourner la tourbe mais la famille chaleureuse. René lui également a gardé pendant des années le contact avec la famille Bamert de Gams dans le Rheinthal Saint-Gall.

Cette famille dévouée, chaleureuse, a accueilli pendant des années successives des enfants sierrois. Les Rouvinet, Monnier, Salamin. Tous gardent un souvenir heureux de leur séjour dans cette famille qui possédait un restaurant et de la campagne.

Pour mon petit frère Paul de 12 ans, c’était la déception et l’aventure… Placé à Zurich dans un milieu difficile. Le père alcoolique qui le prenait au café sans lui offrir le moindre sirop. Paul décide donc après trois jours de quitter Zurich. Sans argent, il prend le train, direction le Valais. A chaque arrêt de gare, descente du train, explication au guichet…. motivation, destination. Le lendemain, à Sierre, notre maman a réglé la simple course Zurich-Sierre.

Pendant mon séjour à Rothenburg, mon cousin Victor devenu père Noël, capucin, a célébré son ordination de prêtre, à la maison-mère de Lucerne. A cette occasion, toute une délégation de parents, oncles, tantes, mon cousin Luc, frère du père Noel, ont participé à cette belle fête. Sur place, j’ai eu le bonheur d’y prendre part. Après l’office religieux et un excellent repas, découverte de la ville: le lion de Lucerne, visite du panorama à la gloire du général Bourbaki, et surtout le palais des glaces… Eclats de rire, chants, grimaces: qu’elle était belle notre tante Prospérine de Saint-Luc avec son chapeau et costume d’Anniviers à chercher son chemin dans les dédales du palais ! C’étaient des découvertes dans la surprise et l’hilarité communicative.

Du 28 septembre 2010 :

A 18 ans à Utwil/Romanshorn

En 1945, j’obtiens mon diplôme fédéral de commerce. C’est la fin de la guerre, époque difficile pour trouver de suite un emploi. A cette époque, l’assurance chômage n’existe pas… Je décide donc, suite à une annonce, de m’expatrier en Suisse allemande afin de parfaire mes notions de la langue allemande.

Destination Utwil/Romanshorn au bord du lac de Constance, bien loin de mon Valais. Je suis engagée par le postier du village. Nourrie, logée (salaire argent de poche) Fr. 20.- par mois. Je n’avais pas de grandes prétentions……

Chaque semaine, je prenais des cours de langue chez un professeur d’école secondaire, coût Fr. 3.50 la leçon. Parfois, le professeur m’incitait à me rendre dans sa classe pour assister au cours afin d’évaluer si les élèves progressaient. Je faisais mes commentaires et cela me donnait de l’importance…. « Petit fait » : Un élève m’apporte une chaise, dans mon langage je lui dis :

« Merci bien » et toute la classe répète trois fois en chœur, « merci pien, merci pien, merci pien ».

Mon travail au guichet de la poste me comblait. J’étais Fräulein Posthalter. Echanges, connaissances avec les clients…. L’instituteur, M. Longatti, faisait ma joie lorsqu’il apparaissait à mon guichet. Son pays était le Tessin. Nous aimions à parler de chez nous. Je crois que sans qu’il le sache, j’étais un peu « amoureuse » de lui. Dans la matinée, il m’incombait de distribuer le courrier dans les ménages. J’assumais cette tâche chantant à travers les rues, sur mon vélo, « j’ai deux amours, mon pays et Longatti »….

Je garde de mes patrons postiers un affectueux souvenir, ils avaient à cœur de me faire progresser dans la langue et de me faire découvrir les richesses de cette région de Suisse.

Un peu difficile le repas-déjeuner du matin ! Seulement une tranche de pain, mais à volonté des röstis, c’était encore la période des tickets de rationnement de la guerre.

Mes sorties-loisirs : aller danser avec notre cuisinière Agnès. Une grande salle avec tables de cantine, d’un côté les filles, de l’autre les hommes. Nous attendions sagement que l’on vienne nous inviter… Lorsqu’un prétendant n’avait pas notre faveur… C’était :« ich bin besetzt » et le regard se portait sur une autre personne de notre choix. Pour toute boisson, une limonade tout au long de la soirée…. finances précaires….

Ces quelques réflexions pour dire de ne pas avoir peur de s’expatrier en attendant de trouver un emploi qui corresponde à nos attentes. C’est tellement enrichissant de découvrir d’autres lieux, d’autres cultures ! Faire provision de souvenirs très attachants qui vous comblent tout au long de la vie.

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  • Paul-André Florey

    Utwil/Romanshorn c'est là que j'ai fêté mes fiançailles, en juin 1964, avec ma future épouse qui était de la ville de Saint-Gall. Le récit de Rose m'a beaucoup plu! Merci du partage

Pierre-Marie Epiney
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4 mars 2021
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