Impressions valaisannes
Impressions valaisannes 1923
Edition Art. Perrochet - Matile Lausanne
Comme il est aisé de vivre après un beau voyage ! Quelle magie dans la ténacité des beaux souvenirs ! Les contacts de la vie journalière : s'en trouvent tout allégés, adoucis, irradiés, et dans le moindre intervalle de liberté laissé à la pensée, quelle éclosion d'images souriantes, quel envahissement de bien-être vivifiant, où le présent ne compte plus!
Je suis obsédée …Je crois planer sans pesanteur, entre la coupole céleste et la terre helvétique, et mes sens retrouvent dans l'illusion, les bons délices des heures vraies savourées là-bas…
C'est l'obsession de l'air idéalement pur léger et frais savoureux et tonique de l'herbe ensoleillée nappes d'or resplendissantes piquées de mille petites fleurs colorées des chalets noircis juchés au rebord des rocs ; des cimes blanches immuablement campées à l'horizon lointain de l'espace demeurait attirant enivrant qui habitent les oiseaux heureux et les nuées vagabondes et qui s'emplit à l'heure des rayons couchants de teintes de mousses vineuses et de vapeur de miel doré…
Et c'est aussi l'obsession chantante d'un jeu de cloches nerveuses et allègres jetant aux échos des monts leurs rythmes fantaisistes pleins d'une assistance tenace, naïve et touchantes.
Oh les joyeuses cloches de Vissoie ! comme elles m'ont étonnée au lendemain de mon arrivée, ce premier dimanche là-bas !...
Vissoie, photo S.A, Schnegg
Depuis comme voici revenu elles m'obsèdent toujours mais ne m'étonne plus.
Leur allégresse me paraît tout symbolique : Venez clament-elle dans leur humble tour grise, venez en confiance ! Vous êtes las, triste, écœurés où souffrants : venez ! Le miracle auquel vous ne croyez pas va s'accomplir.
Vous serez pris au charme de nos monts boisés de nos cimes de neiges scintillantes et d'âpres rocs, de nos prés accueillants de nos torrents gazouilleurs…
Venez et vous ne vous reconnaîtrez plus vous-mêmes au départ.
Vous vous retournerez sur la route descendante pour signifier l'adieu au corps mélancolique votre pareil que vous abandonnez là, à jamais !... Venez! Venez!...
Je t'envie m'écrivait à Vissoie une amie à qui j'avais envoyé la vue du village : comment as-tu déniché un aussi joli coin ? Ma foi je n'y ai aucun mérite le Touring Club m'a fourni des renseignements et des brochures illustrées… j'ai lu, hésité comparé et connaissant déjà les merveilles du Val d'Hérens et du Val de Zermatt j'ai jugé agréable de visiter leur vallée voisine le Val d'Anniviers hautement vanté de brochure en brochure. Et me voilà partie.
Le train de Bâle m'emporte. Puis je traverse la jolie suisse du Nord verdoyante et riante pleine de clarté de bonhomie et d'aisance.
Je brûle l'étape de Berne et dans le train électrique du Lötschberg l'enchantement commence. L'Oberland bernois tend aux yeux ces décors somptueux cortèges de monts géants est superbe au travers desquels le chemin de fer se faufile comme un lézard agile, pour atteindre les rives sauvages du Rhône tourmenté, sa large vallée au sol si blanc qu'encombrent des débris de collines fantasque et bois de pins rabougris.
Gare de Brigue, éditeur Julien frères Genève
De Brigue à Sierre le ruban gris, laiteux, endigué, insoumis cependant et déjà rompu maintes fois, trace son sillon étroit entre une double escorte de massifs imposants. Il se presse vers le bleu Léman…
Adieu, Rhône ! bientôt à quelque 15 kilomètres d'ici du haut des faites voisins, je te reverrai et te renouvellerai mon salut !
La petite ville de Sierre, réputée aujourd'hui comme station d'été et d'hiver, portait déjà au moyen âge le nom de "Sierre l'Agréable".
Elle s'encadre sur son versant, de prés, de vergers, de champs et de vignobles, parmi lesquels s'essaiment, jusqu'aux forêts et aux alpages voisins des cimes qui la dominent, de coquets villages aux mazots pittoresques.
Sierre, édition Art. Perrochet - Matile Lausanne
Dans la ville même, la "Nice du Valais rayonnante de soleil", subsiste de nombreux vestiges de constructions féodales. Une visite détaillée serait tout indiquée. Mais le Val D'Anniviers s'ouvre en face, captivant, tentateur, et les charmes de la nature vivante l'emporte sur l'intérêt du passé mort…
La voiture postale de Sierre s'apprête pour le départ : je m'installe dans le landau confortable où je me suis fait retenir une place : le char à bagages suit, et en route pour la dernière étape.
Photo J. Gaberell Thalwil
Sortir de la ville, passage du pont sur Rhône. Traversée du chaotique lit de la vallée, puis montée par les longs et lents lacets qui zigzaguent au flan du vaste promontoire d'entrée du Val d'Anniviers
Val d'Anniviers, Société Graphique Neuchâtel
A mesure que nous montons, la vue plonge plus loin dans la belle vallée rhodanique, et le va et vient des lacets nous la montre alternativement vers ses deux horizons lointains, où s'enchevêtrent tant de monts hardis et étranges.
Je ne veux rien perdre de ce spectacle : il est si différent selon l'heure du jour et de l'aspect du temps, et je n'ai jamais vu cette "noble vallée" sans garder le désir de la revoir.
Hélas ! déjà l'industrie s'est emparée du site, et au débouché même du vallon où nous entrons, s'alignent sous nous les innombrables bâtiments de l'atelier de la grande usine d'aluminium de Chippis (succursale de Neuhausen) qui aliment en houille blanche la susurrante Navizence captée à cette fin à Vissoie et conduite jusqu'à Chippis par un canal souterrain de 10 kilomètres.
Chippis, l'usine aluminium Cliché O.C.E.C.
Sur le versant opposé du Rhône, bien au-dessus de Sierre, s'aperçoivent maintenant les stations de Montana-Vermala avec leur funiculaire, leurs hôtels, et sanatoria, leurs bois étendus et s'ourlant sur le ciel, les cimes au rebord argenté des lointains glaciers du Wildhorn et du Wildstrubel.
Ah ! l'attrait des neiges ! Quelle ardeur à s'élever vers elles dès qu'on a vu resplendir leur éblouissante clarté !
Maintenant mon regard porte en avant, se tends vers mon but, plonge avidement dans le val d'Anniviers dont les blancheurs éternelles, se signale déjà depuis Niouc, au loin sur l'azur du ciel Diablons, Gabelhorn, Zinalrothorn…
Weisshorn, Besso, photo Gyger Adelboden
Le vallon plus resserré que celui d'Hérens et de Zermatt, n'est plus qu'une sauvage et très profonde crevasse aux flans abrupts et déchirés, roches fauves et nues, ou couverte de sombre bois de conifères : la Navizence qui s'acharne à sa course tourmentée, invisible au pied des terrasses verdoyantes découpées en falaises aux parois du ravin, emplit les profondeurs de son chuchotement grave, sourd et obstiné.
La route hardie et rude creusée au flanc des hautes roches vertigineuses, offre des effets d'un pittoresque grandiose et saisissant auxquels se mêle le charme exquis des forêts traversées, leur fraîcheur, leur parfum…
Dans le décor merveilleux, âpre et prenant de ce vaste vaisseau de vallée, la promenade se prolonge, et tandis que je contemple, sur l'autre flan du ravin, le hameau de Pinsec aux innombrables chalets tout noirs serrés au bord du précipice comme des nids de salanganes sur les rochers marins, ma voiture s'arrête car nous voici à Vissoie.
L'automobile postale à Vissoie, photographie amateur anonyme
Avez-vous connu cette petite angoisse à votre arrivée solitaire dans un site inconnu où vous proposez de séjourner, et où vous vous demandez, en jetant un regard circulaire sur la place : Vais-je me plaire ici ?...
Il faut s'installer dans l'hôtel, subir un premier contact avec les occupants étrangers, parfois très gais, très bruyants, tels de durs conquérants, … ignorant encore du confort intérieur, des jouissances du dehors et de la façon dont on s'accommodera de tout cela, on a un moment la sensation qu'il n'aurait pas fallu s'arrêter, et que plus loin ce serait mieux.
On regarde le paysage les yeux sévères, et on le trouve lourd, farouche, fermé…
On se souvient de l'endroit où l'on a détendu son être dans une béate jouissance, au soleil parmi des horizons familiers… Et le premier sommeil dans l'endroit est un peu inquiet…
Mais au réveil le soleil rit, les cloches chantent et dansent : un paysage merveilleux de prés fleuris, de vieilles masures enchevêtrées, de monts boisés et de pics éblouissants vous fait face à votre fenêtre, et vous sentez fondre en vous la crainte de la veille, le courage vous revient devant les pentes des abîmes à franchir, et l'admiration heureuse et spontanée vous pousse au dehors.
Vissoie, édit J. Gaberell Thalwil
Vissoie
De tout le val d'Anniviers la localité la plus importante, domine du haut de son tertre vert où se serre le village, le torrent de la Navizence enfoui dans le creux profond de la vallée, mais s'appuye à un versant qui monte aux nues vers Saint-Luc et le ciel !
Le versant opposé se révèle tout aussi raide, couvert de prés, de champs, de bois, jusqu'aux roches nues qui l'achève.
De cette disposition en V très accusé, il résulte que les relations d'une rive à l'autre sont rares et que les promenades s'effectuent tantôt d'un côté de la vallée tantôt de l'autre, plus nombreuses cependant sur la rive droite, celle où les Hameaux se sont installés de préférence.
Une excellente route relie actuellement par la rive gauche Vissoie à Grimentz,
Grimentz, photo Gyger Adelboden
charmant et pittoresque village situé à l'entrée du val de Moiry et que traverse les touristes qui par le col de Torrent se rendent à Évolène ou aux Haudères dans le val voisin d'Hérens qu'illumine la superbe Dent Blanche et le Pigne d'Arolla.
De vrais nids humains, Pinsec, Mayoux, Saint-Jean, sont blottis sur ce flan gauche qu'éclaire le soleil matinal, et dont l'ombre violette et fraîche emplit la vallée dès les premières heures de l'après-midi.
Pinsec, photo Gyger Adelboden
Du côté de Vissoie la belle route venue du Rhône se prolonge à flanc de coteau parmi la verdure luxuriante des prés des jolis hameaux si débordant de couleur locale de Quimet, Mission et Ayer, dans le décor somptueux des cimes vertigineuses et des glaciers éblouissants qui enveloppe Zinal en tête de vallée. Le Rothorn et le Gabelhorn notamment que le fier Besso sépare par sa pyramide élégante, si finement et si curieusement fourchue.
Quimet, Phototypie Neuchâtel
Après Ayer le terminus du service postal, la route bordant le torrent traverse des bois ombreux pleins d'un profond silence que trouble seul le "groui-groui" de nombreux écureuils dans leurs ébats grimpeurs.
Ayer, édition Art. Perrochet - Matile Lausanne
Puis elle longe des éboulis formidables de roches que, dans les fonds, l'herbe et la mousse ont recouverts Et parmi une haie de mazots sombres éparpillés le long des rives de la Navizence aux flots laiteux, atteint Zinal, station alpestre des plus élevées, champ d'excursions des plus riches pour tous les amateurs de spectacles grandioses de grimpades hardies, de traversée de glaciers et de col merveilleux.
Zinal, édit. Phototypie Neuchâtel
Dimanche matin, gai soleil dans l'air et sur la terre. Assis sous les mélèzes, haut perché parmi les gros blocs de roches éboulée dans le lit du torrent, j'écoute un livre ouvert sur les genoux, la chanson sautillante et fraîche, joyeuse et folâtre, éperdument et inlassablement rieuse des eaux claires du torrent du Moulin, qui dégringolant de si haut au-dessus de moi, s'engouffrent sous le pont de la route, se pressent vers la scierie à mi-côte, et puis se jette à la Navizence tout en bas…
La Navizence, éditeur Julien frères Genève
La brise fraîche, au parfum de mélèzes, que le courant d'eau rapide amène des hauteurs, tempères-en une caresse exquise l'ardeur du soleil.
J'ai un peu pitié de ceux qui marchent sur la route sèche, sans ombrage, sans brise de montagne… Les voilà qui s'en reviennent de la messe… Dans leurs lourds et longs vêtements sombres et si peu coquets, si peu gracieux, ils s'en reviennent ceux de Mission et de Quimet, par petits groupes inégaux, les jeunes, les vieux, les hommes, les femmes et les enfants.
A voir leur visage austère et leur corps courbé. Il semble qu'ils n'abandonnent même pas le dimanche les lourds soucis de leur vie rude, de leurs patientes et ingrates besognes de montagnards…
St.-Jean et Mission, édition Art. Perrochet - Matile Lausanne
Les femmes portent d'une main leur livre de prières et d'autres un long pain blanc acheté à Vissoie, qui sera le seul régal de la semaine, qui fera peut-être paraître plus noir, plus sec et plus lourd celui que, pour tremper dans le lait de la soupe, qu'on casse au marteau.
Saint Jean, édition Art. Perrochet - Matile Lausanne
Les jeunes filles vont un peu plus souriantes, Et vraiment toutes pareilles aux vieilles dans leurs sombres petites jaquettes courtes, de grosses bures à basque évasée, pointues dans le dos et serrées sur leurs corps étriqués.
N'était qu'elles sourient, on douterait qu'elles sont jeunes, var peu sont vraiment jolies, et la fatigue des labeurs émacie déjà leurs traits et mange leurs chairs.
Leur seule coquetterie se marque au chapeau, le caractéristique chapeau valaisan plat, à larges bords bombés, qui s'orne, chez elles, de rubans plissés, plus clairs autours de la minuscule calotte…
Edition Art. Perrochet - Matile Lausanne
Je les suis en pensée jusqu'à l'humble masure où s'écoule leur vie : taudis sombre au dedans comme le bois noirci du chalet au dehors, où l'on vit nombreux et serrés, sans air, sans confort, sans espace, travaillant, mangeant et couchant, souvent dans une même pièce, éclairée par une ou deux fenêtres grandes comme une figure humaine…
Je les suis en pensée par les chemins, menant paître les bêtes de pré en pré, sur les escarpements incultes, par la pluie, le brouillard et le vent ou le soleil torride, depuis le grand matin jusqu'à la tombée du jour…
Je les vois s'en aller, les outils sur l'épaule, pour les labours, les fenaisons et les moissons, aux champs là-haut, pauvres champs étroits et inclinés en des pentes fantastiques, qu'il faut étayer par des murs et débarrasser des cailloux à chaque nouveau printemps. Et je les vois revenir, portant au dos leur lourde hotte trop chargée qui précipite et cadence leur marche sur la descente : ou sur la tête un énorme fardeau de foin ou d'herbes fauchées. Et j'ai pitié à les voir passer sur la route, si jeunes, si débiles en apparence et esclaves d'un destin inexorable.
Saint-Luc, Briquet & Fils (Édouard et Paul, B&F)
En elles, comme dans toute cette vaillante population rien d'amer pourtant. Elles abordent les étrangers avec de courtoises paroles de bienvenue, s'intéressent au plaisir qu'ils trouvent dans la région, et leur offre même à l'occasion des rameaux entiers de chargés de délicieuses petites cerises rafraîchissantes, qu'elles comptaient égrener elles même contre leur soif au long de la route…
Comptoir Phototypie Neuchâtel
Que ce jour s'est levé serein sur le vallon !...
Je suis partie, vivres en poche pour la journée, de grand matin à la découverte de la Bella Tola.
Bella Tola, édit. E. Rossier Nyon
L'air est frais et parfumé, et la rude montée vers Saint-Luc, par les bois encore endormis du ravin du Moulin, est aisée comme une promenade de rêve. Au-delà du village, les vachers, des enfants, s'en vont aux alpages, d'un pas lent, patient et confiant. Le sentier monte fidèlement au flan du ravin qui s'élargi. Des hirondelles silencieuses planent en vol large dans le vide, et Amiel me revient en pensée : il faut avoir beaucoup d'air au-dessus de soi pour connaitre cet affranchissement intérieur et cette légèreté de l'être.
Photo Klopfenstein Adelboden
Chaque élément à sa poésie, mais la poésie de l'air, c'est la liberté !
Ah ! sur l'alpage immense et nu qui maintenant prend du recul en même temps que de l'altitude, quelle solitude !
A peine distingue t'on la petite masse claire du parc aux vaches dans l'alpage de Roua et le tintement des clarines de quelques deux cents bêtes en pâture aux alentours, perdues pour l'œil du chercheur.
Le sol se bosselle d'aspérités rocheuses que l'herbe rase, fleurie et odorante recouvre d'un moelleux feutrage : les arêtes prennent racine, enflent leur croupe, tendent leurs flancs éventrés par les avalanches : et majestueuse dans sa mante brillante de granit blanc, la Bella Tola dresse sa formidable carrure en travers du ciel et du paysage.
Je gravis avec courage la longue montée des lacets pierreux que bordent d'exquises nappes fleuries de marguerites et d'érigérons dorés, d'orpins roses et de blanches sagines délicates, car déjà se découvre du côté de Zinal, un ensemble superbe de glaciers et à chaque virage du sentier, toutes les hauteurs environnantes s'élèvent progressivement, semblent se dé-télescoper et s'étalent en une profusion de splendeurs telle que je me sens, de désir, comme aspirée vers la crête pur jouir au plus vite du spectacle promis , du spectacle d'un horizon complet dont la muraille que j'escalade me masque la moitié…
Le voici !... Plus beau dans sa richesse de formes, de lignes et de couleurs, dans son immensité troublante, que tout ce que je pouvais imaginer ; et je reste là, la gorge serrée d'émotion…
Quelle merveille de sculpture colorée. Quel haut-relief inimitable, indescriptible, impossible à reproduire par n'importe quel procédé humain !
Je suis assise sur la crête étroite de la grosse montagne, au centre du chaos merveilleux, entre deux vides immenses : l'un à ma gauche, gouffre neigeux, immaculé, resplendissant, du versant intérieur tel un large cratère de la Bella Tola ; l'autre à ma droite et tout à l'entours du premier, précipices de rocailles rugueuses, effritées , fantasques, où s'accrochent les puissants éperons crêteux de la Gargoula, de l'Ilhorn, et de l'Ilgraben, et à l'opposé de ceux-ci les énormes masses informes et rongées qui barrent la vallée de Tourtemagne, d'une part, et les contreforts prolongés de la Bella Tola, d'autre part.
Aspects hirsutes anguleux, chaotiques, tragiques, nuancés du grenat sombre au vert lichen roussi.
Puis, dans un deuxième cercle agrandi, de nouvelles hauteurs enchevêtrées, roches arides encore, mais plus étalées sur des assises plus ouvertes : les unes gigantesques déjà aux pieds des sommités blanches : Roc de la vache, Besso, Sorebois, Garda Bordon, Bossons, Tracui, richement éclairées en blanc et noir, neige et roc, d'un contre-jour farouche sous le soleil de midi ; les autres légèrement gazées de bleu vers le nord où, dans le creux du couloir du Rhône, que l'œil peut d'ici suivre de Sierre à Sion, floconnent moelleusement quelques nuées égarées.
Alors dans une troisième série fendant l'azur du ciel, toute la couronne des présences altières, éblouissantes, somptueuses, dressées les unes parmi les autres, en une assemblée impressionnante au-delà de toute expression, avec leurs formes si personnelles et si admirables toutes.
Quelle apothéose féérique !
Le Weisshorn surgit au milieu dans toute sa majesté opulente, élégamment drapé dans ses amples vêtements blancs diamantés.
Bella Tola Brunegghorn - Bieshorn - Weisshorn - Schallihorn - Zinal Rothorn Gyger&Klopfenstein
A gauche le Brunegghorn, le Barrhorn et le puissant Massif des Mischabel, Tischhorn, Dom et Nadelhorn et plus lointain, le Monte Léone aux neiges couleur de souffre verdi. De ce côté-ci, le ciel par-dessus les monts, est d'un bleu si doux qu'on dirait voir une mère de turquoise, avec bien loin, bien loin, des rives d'albâtre, qui sont les nuages striés droits… Escortant le Weisshorn dans la direction opposée, le Zinal Rothorn. L'homicide ! effilant son profil tranchant : le Gabelhorn aux traits plus doux : la silhouette étrange et noire du Cervin surplombant la longue coulée du glacier de Zinal ; la pointe de Zinal à la découpure capricieuse : la somptueuse et grandiose Dent Blanche avec les Bouquetins, adossée au Grand Cornier dans un épanouissement resplendissant. Et la couronne s'allonge en se distançant vers l'ouest, hérissée encore d'une richesse innombrable de cimes où domine le beau Pigne Arolla' s'allonge jusqu'au Mont Blanc, dont la belle tête lointaine garde toute sa royauté.
Enfin vers le nord, la chaîne plus uniforme de l'Oberland bernois où émergent finement argentés les Diablerets, le Wildhorn et le Wildstrubel, emplit l'horizon de nappes plus couchées, où dans des masses grises et rouges se burinent, avec un détail curieusement net, les vallées de Loêche avec la Gemmi, et le Lötschental aux multiples tunnels et hardis viaducs : et refermant la longue trainée des glaciers de ce cercle féerique, l'Aletsch et l'Eggishorn, plus atténués toutefois, rejoignent le massif initial.
Edition Art. Perrochet - Matile Lausanne
Sur cet ensemble prestigieux, où s'harmonise les couleurs les plus variées et les plus inattendues, où même l'air des espaces se colore d'irisations changeantes, plane un silence absolu, l'éternel mutisme de la nature mystérieuse.
Seul un coup de mine on sait d'où fait subitement trembler les monts et les ondes aériennes sur le cirque entier…
Qu'il fait bon, sous la double caresse de l'air subtil et frais et du chaud soleil, s'attarder à contempler ces splendeurs éternelles : à savourer l'émotion admirative dont notre être est saisi devant un tel spectacle : à songer avec une humilité bienfaisante à notre petitesse et notre brièveté devant cette immensité sauvage et merveilleuse, crée un ne sait pourquoi, mais certes pas pour les faibles et ternes larves que nous sommes nous les humains, traînant notre lourde impuissance au milieu de ces manifestations inaccessibles et éthérées d'une force éternelle, mystérieuse et formidable
Texte de Bertha Cosyn Professeur à l'École Normale de Bruxelles
Cartes postales anciennes, collection personnelle
Phototypie Lausanne
« Roc de la vache, Besso, Sorebois, Garde de Gordon, Bossons, Tracui, richement éclairées en blanc et noir, neige et roc, d'un contre-jour farouche sous le soleil de midi …» On nomme Garde à Bordon je crois! Très beau et riche document, merci ??
Si j'en crois la carte nationale
Oui il me semblait bien, car Gordon je n'avais jamais entendu ;-)