Progrès dans le combat contre la tuberculose, avant l’ère des antibiotiques Repérage

Philippe Chappuis

Mon envie de rédiger ce texte sur l'histoire de la tuberculose avant les antibiotiques est née de l'intérêt rencontré dans la construction de la galerie sur mon grand-oncle René Burnand qui s'est consacré avec ténacité et acuité-ce que j'ai admiré- au traitement de la tuberculose, particulièrement délicat sans traitement spécifique.Une autre raison était que le sujet de ce texte représentait un chapitre de presque 100 ans très instructif de l'histoire de la médecine se rapportant à une maladie contagieuse chronique à fort impact social.

1er acte, le traitement climatique

Dans le courant du XIXe s, bien avant la découverte par Koch de l’agent infectieux responsable de la tuberculose, le traitement des phtisiques en milieu sanatorial d’altitude prônait la triade air, repos et alimentation (méthode hygiéno-diététique), d’abord dans des établissements hôteliers ouverts puis des sanatoriums fermés. Ce traitement fut adopté sur une base empirique ou spéculative. Les études sur l'influence du climat sur la santé s’étaient multipliées dans la seconde moitié du XIXe s. Le concept d'immunité phtisique (état de celui qui est épargné par la tuberculose) liée au climat d’altitude fut développé par le médecin genevois Henri-Clermond Lombard (1803-1895), servant de justification quasi « scientifique » aux traitements en station d’altitude. La rareté de la tuberculose des populations vivant en altitude fut extrapolée, par syllogisme, dans la formule: l’air de l’altitude fait guérir plus rapidement les malades y séjournant.

Ceci était malgré tout confirmé dans les faits, mais probablement pour d’autres raisons et explique le succès des stations d’altitude. C’est à cette époque, en Suisse, que débutera le développement pilote des sanatoriums, à Davos où le premier fut construit en 1868 sous l’impulsion d’Alexandre Spengler; l'établissement Spengler-Holsboer servira de modèle pour l’implantation de nombreux sanatoriums en Suisse dès la fin du XIXe s.

Ci-dessous le légendaire sanatorium Berghotel Schatzalp (1900) que Thomas Mann (1875-1955) choisira comme lieu de cure pour son héros Hans Castorp de la Montagne Magique (Der Zauberberg) écrit entre 1912 et 1923 après un séjour à Davos en 1911.

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2ème acte, lutte contre la contagion

C’est en 1882 que le médecin allemand Robert Koch (1843-1910)

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annonce la découverte, grâce à une nouvelle méthode de coloration, du bacille responsable de la tuberculose. Il mesure 2-5 millièmes de millimètre.

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Cette découverte eut des retombées multiples. L’identification au microscope de l’agent va permettre d’affiner le diagnostic de la tuberculose et de renforcer les mesures préventives en isolant les malades bacillaires. On a constaté que ce bacille présentait la particularité de disposer d’une enveloppe cireuse le protégeant contre l’agression chimique ou physique comme les acides et la dessication. Introduit dans le corps, sa capsule contribue à mettre le bacille à l’abri de l’action des cellules immunitaires et des antibiotiques courants comme ce fut le cas dans les années 1920 avec la pénicilline. A l’extérieur du corps, le bacille se développe bien en milieu humide et sombre, par contre il est détruit par les rayons du soleil. En l’absence de lumière, dans des conditions moyennes de température et d’humidité, les bacilles peuvent garder leur pouvoir infectieux dans les crachats des malades, source majeure de la contagiosité de la tuberculose. Ces constatations orientèrent les stratégies de lutte contre la contagion et influencèrent les conditions du traitement sanatorial. La lutte contre la contagion s’est imposée d’abord dans le domaine de la santé publique, mais ce fut aussi un des principes adopté par les sanatoriums avec le recours aux crachoirs. La récolte des crachats nécessitait de disposer d’un autoclave pour assurer la destruction des bacilles, l'agent stérilisant étant la vapeur d’eau saturée sous pression ou l'eau surchauffée.

3ème acte Intervention sur le terrain de l’infection

L’examen de cadavres par autopsie au milieu du XIXe s. avait révélé une particularité troublante de l’infection tuberculeuse qui pouvait, chez certains sujets guérir spontanément ne laissant que des cicatrices calcifiées. Ces observations ont fait avancer le concept de terrain défavorable aggravant l’infectiosité du bacille en empêchant la guérison spontanée au contraire de ce que l’on observe chez des sujets aux conditions de vie plus saines. Cela devenait un argument de poids aux yeux des médecins de favoriser cette guérison en réunissant les conditions favorables dans le milieu sanatorial et un but à atteindre dans le domaine ambulatoire par des interventions sociales et préventives.

La connaissance du terrain dans lequel va se développer la tuberculose est déterminant pour la suite. Les observations des spécialistes de la santé publique au tournant du XXe s. permettront de sélectionner les facteurs de risques sociaux et sanitaires de la tuberculose:

les couches sociales déshéritées et pauvres, l’état général précaire de l’individu, en particulier par une alimentation insuffisante, l’alcoolisme est pointé du doigt avec ses répercussions alimentaires et financières, les logements exigus favorisant la promiscuité et une cohabitation serrée et insalubre, un air vicié, l’humidité et l’absence de lumière favorisant la croissance du bacille, les conditions de travail défavorables autant par la pénibilité que le surpeuplement, le milieu urbain pollué de fumées charbonneuses. Les enfants et les femmes étaient particulièrement concernés.

Des mesures sur le terrain se mettent en place, à la façon de l’action exemplaire à plus d'un titre, d'une femme, la Doctoresse Charlotte Olivier (1864-1945) (lien vers article de l'historienne Geneviève Heller)

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Ce sera entre autres la création de la fameuse cure d’air à Sauvabelin,s'inspirant de la méthode sanatoriale, accueillant pendant la journée les habitants pauvres de Lausanne menacés de tuberculose, en offrant repos et nourriture fortifiante. Ce fut aussi la création du Dispensaire antituberculeux rattaché à la policlinique médicale de Lausanne qui offrait des consultations gratuites et d’institutions comme les préventoriums (les Oisillons par ex.)

accueillant les enfants séparés de leur parents contagieux. Le dispensaire se chargeait aussi du dépistage de la tuberculose. Ces mesures étaient complétées par l’activité des sanatoriums populaires d’altitude comme celui de Leysin, destinés aux malades indigents. La ligue vaudoise contre la tuberculose (1906) se chargeait des campagnes d’informations, de prévention et du soutien des tuberculeux et de leur famille.

Au final, la méthode hygiéno-diététique du sanatorium va s’améliorer.

Les données sociales sur le développement de la maladie tuberculeuse ont permis de compléter le principe de base du traitement sanatorial (air, alimentation repos) par la lutte contre la contagion dans des établissements fermés. La méthode sanatoriale ressort bien du règlement de ces maisons de cure, par exemple celui du Sanatorium Populaire de Leysin.

Ce règlement est fort contraignant, imposant une obéissance totale aux ordres des médecins et des infirmières, la consommation d’alcool est interdite, le recours au crachoir est impératif, en évitant les contacts rapprochés. Des mesures strictes d’hygiène et de propreté corporelle sont prescrites. Le temps de cure sur la galerie est réglementé, obligatoire ainsi que l’heure du coucher. La présence aux repas et au goûter est obligatoire. Pour assurer un repos plus complet, un silence total est obligatoire sur les galeries entre 13.30 et 15 00 h. La séparation des hommes et des femmes à l’intérieur comme à l’extérieur du sanatorium est de règle. La pratique régulière d’exercices physiques faisait partie du traitement ainsi que des occupations manuelles dans des ateliers.

Ces mesures contrariaient efficacement la contagion, favorisaient un repos physique et psychique, l’état général du malade s’améliorait, notamment par une prise de poids.

L’héliothérapie préconisée par Auguste Rollier à Leysin fut d’abord préconisée dans les tuberculoses extra-pulmonaires, avec atteintes osseuses, pour s’imposer plus largement par la suite.

Progrès dans l’approche médicale

En attendant un traitement spécifique qui ne viendra, après 1945, la découverte des antibiotiques et la maîtrise de la vaccination par le BCG, 2 progrès substantiels vont améliorer le traitement proprement médical du malade tuberculeux .

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(in Blog de Gilbert Salem 24 heures)

1-. La découverte des rayons X par le physicien allemand Wilhelm Konrad Roentgen (1845-1923) , en 1895, va offrir au médecin un outil de diagnostic majeur, complément précieux à l’examen clinique, qui, jusque là, se basait essentiellement sur le stéthoscope en bois et le thermomètre. La radiographie pulmonaire et la radioscopie deviennent des outils précieux du diagnostic et du contrôle du traitement. Il fallut cependant un certain temps pour mettre en place une radioprotection par des tabliers de plomb, lorsque les cas de dermites actiniques se sont multipliées.

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Une radioscopie thoracique vers 1910 (in article Arlette Mouret) qui est particulière car la patiente a visiblement le coeur anormalement à droite (situs inversus)

2-. Le médecin italien Carlo Forlanini (1847-1918)

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réalise pour la 1ère fois, en 1894, un pneumothorax en injectant de l’air entre le poumon et la paroi thoracique. Cette injection a pour but d’affaisser le poumon atteint d’une caverne tuberculeuse, autrement intraitable.

le Dr René Burnand en train d'insuffler un pneumothorax au sanatorium de Leysin

Le contrôle radioscopique facilitait singulièrement la pratique du pneumothorax qui donnait au médecin une possibilité inespérée d’obtenir un traitement des cavernes pulmonaires d’un pronostic très sévère en général.

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  • Renata Roveretto

    Excellente présentation, oui instructive, très sérieuse et touchante à la fois de par votre investissement personnel et sentimental, tout en sachant vous distancier pour en sortir que l'essentiel ! Merci à vous cher monsieur Philippe Chappuis

  • Albin Salamin

    Excellent, très instructif!

  • Philippe Chappuis

    merci à tous les deux de cet agréable partage, et oui, instructif, ce le fut aussi pour moi !

  • Claire Bärtschi-Flohr

    Récit très intéressant ! Bravo et merci !

    • Philippe Chappuis

      Comme c'est aimable !! Bravo désignait d'abord les cris qui accompagnent les applaudissements, me souffle à l'oreille l'inséparable Robert historique, alors plus de doute, me voilà gâté !

  • Sylvie Bazzanella

    Intéressant et plus encore. La tuberculose a fortement impacté ma famille française durant la Seconde Guerre mondiale.

    • Philippe Chappuis

      Merci ! Oui, pendant la guerre 39-45, la mortalité par tuberculose a augmenté dans la plupart des pays européens à l'exception de la Suisse, du Danemark et de la Suède où il n'y eut pas de pénurie alimentaire notable. Si en Angleterre, Pays de Galles et Ecosse, l'augmentation fut faible, elle fut importante en France, en Belgique et aux Pays Bas, surtout dans les villes (augm. de + 41 % de mortalité à Paris en 1941 !). Les taux de mortalité n'ont cependant jamais atteint ceux de 14-18. Les causes de l'augmentation durant la dernière guerre sont multiples, liés au conflit lui-même ou aux conditions de travail et de nutrition. Hélas, durant la guerre, le BCG et la streptomycine n'étaient pas encore opérationnels... (in apps.who.int/iris/bitstream/ha... )