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Valse et pèlerinage

© Jean-Claude Pont
Michel Savioz

VALSE ET PÈLERINAGE

par Joseph Savioz, de Vissoie

Je voudrais raconter une histoire, plutôt une bêtise, qui s'est déroulée il y a longtemps.

En ce temps là, les jeunes n'osaient guère danser dans les villages. Les parents n'étaient pas contents; et le curé non plus. Les vieilles filles, jalouses, faisaient la tournée des portes pour espionner. Ensuite, pour se faire bien voir par le curé, elles lui racontaient tout. Le dimanche, à l'église, il faisait des sermons à propos du bal.

II fallait trouver un prétexte. Une fois, on devait parler avec Pierre, Jean ou Jacques, en vue du travail du lendemain; une autre fois, "veiller le renard", etc.

Une fois, lors d'une fête de trois jours, ils dirent qu'ils allaient partir pour Notre-Dame des Ermites. Dans le temps, tout se faisait à pied. Il n'y avait ni trains, ni voitures. Ils préparèrent le sac, du vin, du pain, du fromage... Mais au lieu de prendre la route de Sierre, ils prirent celle du Mayen du Biolec, en amont de Vissoie.

Pour passer inaperçus, ils s'en allèrent de nuit, à tâtons, vers la forêt. Arrivés là-haut, ils allumèrent le feu et préparèrent à manger. Ils mirent à feu du vin pour le vin chaud, puis ils commencèrent la fête et la danse. C'était si beau ! Mazurka, cavalante, polka et hardi! La maison en tremblait. Les filles avaient des chaleurs! Les habits avaient de la peine à tenir sur leur corps !...

Mais entre temps, là bas, à la Combaz, il y avait deux vieux: Pierre et Marion si je me souviens bien ... Je crois même que c'était un Pierre Savioz. Marion sortit pendant la soirée, pour aller aux toilettes. En rentrant elle dit à son mari:

-Mais Pierre, n'entends-tu pas. II y a du bruit. Je ne sais pas ce que c'est, on dirait la "Synagogue".

- Ah! Tu me tourmentes avec tes histoires! Tu entends du bruit! C'est dans ta tête qu'il y a du bruit. II n'y a rien, bien sur...

- Mais si, il y a du bruit, moi j'entends quelque chose. On dirait que c'est en haut, sur le petit replat.

- Eh! Sotte que tu es. Allons nous reposer.

- D'abord nous n'allons pas nous reposer maintenant, il nous faut encore prier le chapelet avant de dormir.

- Alors, prions et ensuite, couchons-nous!

Mais avant de dormir, la vieille ne put s'empêcher de ressortir sur le petit balcon pour regarder.

- Pierre, cette fois-ci, il nous faut monter. Je te dis que c'est cette racaille de Vissoyards; ils nous descendent la maison et tu sais que le fourneau ne tient plus, bien que nous l'ayons réparé l'an passe.

- Bien! Pour avoir la paix je monte. Mais s'il n'y a personne, tu me la payeras cette course inutile.

Et les deux petits vieux de se mettre à monter le sentier jusqu'au Biolec. Une fois arrivée, quel vacarme! Le bruit sortait par les fenêtres grandes ouvertes.

- Que faites-vous ici, sales vissoyards que vous êtes! Dehors, sottes filles. Dehors! Vous êtes en chaleur! C'est cela que vous avez. Vous ne pouvez pas rester à Vissoie plutôt que de monter ici tourmenter les gens ... ficher en bas la maison, tout "foutre en l'air" ...

Les jeunes étaient plutôt malheureux; ils arrêtèrent un instant de danser et essayèrent de parler avec le vieux. Et le vieux, voyant sur le fourneau des bouteilles de vin, se disait: une goutte, maintenant que j'ai bien transpiré en montant, ça ne me ferait pas de mal. Alors il dit à Marion:

- Voyons, Marion, nous avons été jeunes nous aussi; laisse-toi faire pour une fois, il faut les comprendre. Plus tard, ça leur passera!

- Espèce d'idiot que tu es, je ne sais comment tu peux parler ainsi, on dirait que tu n'as plus de religion.

Et puis le vieux commença à avoir sommeil. Alors ils sont redescendus ensemble sans rien se dire. Le vieux songeait aux quelques verres que les jeunes lui avaient offerts et à la promesse qu'on lui avait faite de l'appuyer lors des élections de l'année suivante. II réussit donc à convaincre sa bourgeoise de ne pas ébruiter l'affaire.

Pour que les parents ne se doutent de rien, nos danseurs avaient demandé à un vieux garçon qui partait pour Einsiedeln de leur rapporter chapelets, médailles et autres choses bénites pour les vaches. Finalement tout se passa pour le mieux et les parents ne s'aperçurent de rien.

« Les jeunes d'aujourd'hui n'ont plus guère besoin d'inventer des histoires de pèlerinage pour s'en aller danser; ils dansent jusque dans les églises ».

Gravure sur bois d'André Pont

Patois d'Anniviers et d'ailleurs

Avec l'aimable autorisation de © Jean-Claude Pont.

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Michel Savioz
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21 septembre 2012
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