Des usages du Babybel

1 avril 2020
Pierre-Marie Epiney

Des usages du Babybel

En ces temps de coronavirus, le traitement du moindre incident peut se révéler chose ardue. En croquant à pleines dents dans un vieux Parmesan, j’ai fait éclater un plombage qui ornait une molaire. Comme à l’époque de mon enfance on préférait envoyer les enfants chez le dentiste plutôt que de leur apprendre à laver soigneusement leurs dents, ma denture disparaît aujourd’hui presque entièrement sous d’horribles plombages gris. Et c’est, je crois, le lot de bien des personnes de mon âge.

Mais revenons à ce malheureux coup de mâchoire. Lorsque ma langue explora l’espace ouvert dans la dent, elle me renvoyait l’impression d’une cavité énorme. J’ai alors appelé mon dentiste qui, coronavirus oblige, ne répondit pas mais me pria d’envoyer un mail ou de téléphoner à une heure précise à la seule condition que le mal fut insupportable.

J’expédiai alors le mail que voici : « En mangeant un fromage très dur, j'ai fait éclater une partie d'un plombage sur une molaire. Est-ce possible de me recevoir au plus vite ? »

Il ne se passa que quelques minutes lorsque j’ai eu la surprise de recevoir une réponse du médecin dentiste :

« En raison de la situation actuelle très particulière et du fort risque de contagion que représente une consultation dentaire, nous ne recevons que les patients souffrant de douleurs aiguës. La fracture de votre plombage a-t-elle entraîné des douleurs très fortes ? »

Ne voulant pas jouer les poules mouillées, je lui répondis que c’était tout à fait supportable mais que si la situation devait se péjorer, je ne manquerais pas de faire à nouveau appel à lui.

Quelques minutes plus tard, je recevais ce message assez surprenant : « En attendant, si cette dent vous gêne en mangeant, n’hésitez pas à vous procurer du Babybel et à utiliser sa cire rouge pour colmater la brèche : c’est une cire alimentaire qui peut être utilisée en bouche sans problème».

Assez peu confiant dans cette réponse, je croquais précautionneusement dans une magnifique saucisse « le Campagnard ». Mal m’en prit puisque je la recrachais aussi prestement que je l’avais croquée. Un caillou ! Elle devait contenir du caillou : en fait, après analyse des résidus de saucisse entre mes doigts, il s’agissait d’un nouveau petit morceau de dent qui venait de se défaire. J’envoyais aussitôt ma langue explorer ma denture : les bords de la cavité étaient maintenant relevés à la manière d’une dent de scie. Cette nouvelle agression non seulement blessait ma langue mais conférait à mon langage les inflexions très curieuses de quelqu’un dont la voix est très altérée.

Mon épouse qui a un cœur en or s’est alors précipité dans un grand commerce de la place. Heureusement que le Babybel n’avait pas été retiré des indispensables aliments disponibles aussi en temps de pandémie.

A son retour, elle procéda à l’examen dentaire. Je n’ouvris la bouche qu’à contrecœur mais à force de persuasion, elle me proposa de rabattre la partie tranchante de la molaire malade à l’aide d’un petit outil de dentiste. Elle l’avait à peine proposée que le travail fut fait et bien fait : la petite pique était éradiquée. Puis elle fit un emplâtre avec le fameux Babybel : le trou était bouché et je retrouvais le sourire.

Mon épouse s’est alors empressée d’annoncer la nouvelle à tous nos enfants à travers le fil WhatsApp familial. La réponse de l’un de nos enfants, n’a pas tardé : « Je doute de la véracité de cette nouvelle de Babybel ? Mais je serai tombé dans le piège également car j'ignorais qu'on était le 1er avril. »

Comme quoi le premier avril, en ces temps de coronavirus, même les bonnes nouvelles sont sujettes à caution.

Pierre-Marie Epiney

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