Frank MARTIN, 1ère et 2e parties de «In Terra Pax», OSR, Ernest ANSERMET, 12 mars 1945
L' histoire de la réalisation de l'oratorio «In Terra Pax» de Frank MARTIN est le témoignage d'une collaboration étroite entre compositeur, musiciens et radio: pendant l'été 1944 c'est René DOVAZ, directeur de Radio-Genève de 1944 à 1962, qui commanda cette oeuvre à Frank Martin, s' attendant à la défaite des troupes allemandes et voulant préparer une célébration solennelle du jour de la Victoire avec une cantate célébrant la Paix redescendue sur la Terre. Une fois composée, l' oeuvre fut enregistrée...
Le Grand Studio de Radio Genève pendant l'enregistrement de In Terra Pax
... le 12 mars 1945 sur un film semi-optique, comme au cinéma, afin de l'avoir en entier sur un seul support.
Détail technique:
"[...] Le «Philips-Miller» enregistre fidèlement l'exécution de l'oratorio «In Terra Pax». Conservé dans les archives sonores de Radio-Genève, cet enregistrement demeurera un témoignage vivant de la participation du Studio de Genève à la célébration de la fin de la guerre. [...]"
"[...] Le chef du Service technique de Radio-Genève surveille l'enregistrement de «In Terra Pax». [...]"
L'enregistrement fut ensuite mis de côté, en attente de l'arrêt des hostilités ...
Cette première diffusion sur les ondes nationales de Sottens eut donc lieu le 7 mai 1945, ce jour de l'Armistice mettant fin à la Seconde Guerre Mondiale.
Le lendemain Albert PAYCHÈRE écrivait dans le Journal de Genève en page 4:
"[...] «In terra pax», oratorio brève de Frank Martin
II y a bien des mois déjà, presque une année, que M. René Dovaz, directeur de Radio-Genève, a commandé au compositeur Frank Martin une oeuvre destinée à marquer la fin des hostilités. Ainsi, l'oratorio brève In terra pax ne fut-il point conçu et écrit dans la hâte, mais mûrement pensé et achevé jusque dans ses moindres détails. Remis aux interprètes, ceux-ci l'étudièrent avec tout le soin possible: Mmes Madeleine Dubuis, Nelly Grétillat, MM. Ernst Haefliger, Paul Sandoz et Fernand Corena, le Choeur de la Société de musique symphonique, la Maîtrise protestante et le Groupe choral de l'Ecole supérieure de jeunes filles. À la tête de l'ensemble que complétait l'Orchestre de la Suisse romande, M. Ernest Ansermet. L'ouvrage fut précieusement enregistré pour être prêt au jour solennel.
On l'entendit, hier soir, dans une émission commune des postes suisses et l'on put se convaincre de sa valeur, de sa beauté, de son appropriation aux heures émouvantes que nous vivons présentement. Radio-Genève avait demandé à l'auteur une oeuvre grave et puissante, orientée non point vers une exultation toute humaine, mais vers l'expression des certitudes divines. À quel poète fallait-il demander un texte convenable? Le compositeur souhaita le choisir lui-même et c'est aux livres sacrés qu'il emprunta, Apocalypse et le Livre d'Esaïe principalement. Il disposa ainsi quatre parties.
La première évoque les puissances du mal et contient l'appel plein d'angoisse: «Mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné?» Dans la deuxième, le choeur implore miséricorde et déjà se dessine une certitude en une justice faite de pardon. La troisième est l'annonce de Celui dont la vie et la mort devaient racheter les péchés; la quatrième, une évocation de la Cité nouvelle où seront appelés tous les élus, où seront abolis deuils et douleur. Et l'oeuvre s'achève sur un chant monumental, à la gloire éternelle de Dieu.
Le compositeur a jeté dans sa partition une fermeté d'accent, comme aussi un élan et une flamme qui conquièrent au premier contact. Déclamations robustes et expressives, parties lyriques, ensembles de solistes, choeurs sont de la plus haute inspiration. Dans l'unité de style s'ordonne une admirable variété de formes où se retrouvent cette maîtrise et cette imagination propres à l'auteur du Vin herbé. Mais il faut remettre à une occasion que nous souhaitons proche l'analyse musicale de In terra pax, nous bornant à constater qu'il s'agit d'une oeuvre profondément significative et appelée - nous en avons la certitude - à prendre une place en vue dans la production contemporaine.
A. P. [...]"
Quelques semaines plus tard, le 31 mai 1945, l' oeuvre fut donnée en première audition publique à la Salle de la Réformation, avec les mêmes interprètes. Ce concert marquait en même temps les 20 ans de Radio-Genève.
C'est toujours Albert Paychère qui en rédigea le compte-rendu, publié le lendemain dans le Journal de Genève en page 3:
"[...] À LA RÉFORMATION - "IN TERRA PAX", oratorio brève de Frank Martin
C'est le soir même du jour où fut annoncé l'arrêt des hostilités que Radio-Genève diffusa la partition commandée, dix mois plus tôt, au compositeur Frank Martin pour célébrer l'avènement de la paix. Elle avait été étudiée et enregistrée avec soin en vue de ce moment tant attendu!
M. René Dovaz vient - heureuse et généreuse idée - d'en faire donner une deuxième audition, en concert public et gratuit, associant à la pensée de faire connaître cet ouvrage celle de marquer le vingtième anniver saire de Radio-Genève.
L'audition directe a accentué l'impression forte que m'avait fait «In Terra pax» entendu par le truchement du disque et des ondes. Le tableau sonore y a gagné en relief, en couleur. Et d'ailleurs, c'est quelque chose que d'être en présence de ceux qui instrumentistes et chanteurs, se donnent coeur et âme, saisis qu'ils sont par l'accent de puissance dans la grandeur, d'émouvante beauté que dégagent ces pages. En participant au sentiment collectif d'une salle profondément recueillie, je me disais que les mots musicaux sont, comme ceux dont se sert le poète, gonflés de sens et de significations acquis au cours de leur longue carrière. La manière de les employer, au gré d'une écriture nouvelle, certains rapprochements établissent des contacts mystérieux avec les profondeurs les plus secrètes de la conscience, impressions à la fois très vieilles et très neuves, vraies palpitations de l'âme éternelle. Et ce sont des thèmes humains par excellence qu'a traités le compositeur. De tels thèmes parleront toujours aux foules, même lorsque le langage est austère et très personnel. N'importe-t-il pas d'ailleurs qu'en face de certains sujets, on évite résolument tout ce qui équivaudrait à un renoncement? C'est en se maintenant le plus haut possible que M. Frank Martin a réussi à être le plus direct. On sait qu'il prit le parti d'établir son texte lui-même. Il l'emprunta à l'«Apocalypse» et au «Livre d'Esaïe», principalement, disposant quatre parties qui conduisent de l'évocation des puissances du mal, de l'angoisse, de l'imploration, à l'espérance, puis à la certitude d'une paix céleste.
Formes récitatives, psalmodie alternée - inspirée par la poésie hébraïque - choeurs, ensembles de solistes ou chant solo traduisent les paroles avec une réelle pénétration. Il faut citer la partie d'alto très développée qui constitue à elle seule l'essentiel de la troisième partie. La grandeur et la pureté de la ligne vocale, ses inflexions si expressives s'accommodent de la rigueur d'une passacaille!
Naturellement, le rôle dévolu au choeur est considérable. Le compositeur ne s'y montre point attaché aux complications polyphoniques et de nombreux épisodes revêtent un caractère homophone. C'est l'esprit du psaume ou du choral qui domine, la ligne est toujours sobre, même lorsque l'écriture instrumentale se complaît dans quelque problème complexe, ce qui est souvent le cas. S'il faut signaler un usage partiel et d'ailleurs très personnel du système des douze sons et, au point de vue harmonique, celui d'accords consonants dans des rencontres nouvelles, celui de dissonances par succession; si le style fait un emploi fréquent du canon régulier ou irrégulier, ce qui frappe cependant, ce qui est tout à fait remarquable, c'est la manière dont chaque épisode s'organise en une forme musicale achevée.
Sauf les trois trombones et le tuba, l'effectif instrumental est celui du petit orchestre symphonique auquel s'adjoignent deux pianos, bien incorporés à l'ensemble. Riche en images sonores, lyrique et ornée de quelques traits descriptifs, la musique de «In terra pax» compose une fresque émouvante. Nouveau témoignage de maîtrise du compositeur genevois, plus qu'aucune oeuvre, elle est destinée à faire la conquête des grands auditoires internationaux.
Celui d'hier l'a accueillie avec l'enthousiasme le plus vibrant. C'est dans un véritable sentiment de gratitude qu'il a acclamé M. Frank Martin et M. Ernest Ansermet ainsi que les solistes, Mmes Madeleine Dubuis, Nelly Grétillat, MM. Ernst Haefliger, Paul Sandoz, Fernand Coréna, les choeurs (Maîtrise protestante, Choeur de la Société de musique symphonique, Groupe de l'Ecole supérieure des jeunes filles), l'Orchestre de la Suisse romande.
L'initiative et l'effort de Radio-Genève sont récompensés par la naissance d'une oeuvre maîtresse!
Albert Paychère. [...]"
Les extraits du Journal de Genève cités ci-dessus sont rendus accessibles grâce à la splendide banque de données de letempsarchives.ch, qui est en accès libre sur la toile, une générosité à souligner!
Un enregistrement de In Terra Pax, parfaitement conservé par les soins de Radio-Genève resp. la Radio Suisse Romande, fut rediffusé récemment dans la splendide série de Jean-Pierre AMANN « Poussière d'étoile - Les annales radiophoniques de l'OSR, épisode 1945» avec une liste d'interprètes impressionante, Ernest ANSERMET dirigeant le tout:
Madeleine Dubuis, soprano, Nelly Grétillat, alto, Ernst Haefliger, ténor, Paul Sandoz, bariton, Fernando Corena, basse, Maîtrise Protestante (chef de choeur: Roger Vuataz), Choeur de la Société symphonique (chef de choeur: Jean Dupérier), Groupe choral Ecole supérieure de jeunes filles (chef de choeur: Albert Paychère)
Pour écouter ce document, aller sur la page
des archives de la RTS et positionneur le curseur de la barre temps sur 2 minutes 54 secondes, qui est le début de la présentation par Jean-Pierre Amann, ou cliquer ici pour démarrer l'audio au début de la présentation de cet enregistrement pas Jean-Pierre Amann: ouvre une nouvelle fenêtre sur l'archive de la RTSR.
Pour le texte des première et seconde parties, voir cette page du site frankmartin.org.
Les quatres enregistrements présentés dans cet épisode 1945, sont tous des enregistrements exceptionnels - d'une qualité de prise de son remarquable pour cette époque - qui méritent d'être écoutés, et réécoutés!!
Le sommaire, avec les minutages sur les débuts de chaque séquence:
00:54 Frank Martin, Petite fanfare, Orchestre de la Suisse Romande, Edmond Appia, 15 juin 1945
Présenté dans cet article (https://www.notrehistoire.ch/medias/114699) de Notre Histoire.
Frank Martin, Première partie de In Terra Pax, Oratorio pour soli, 2 choeurs et orchestre, Madeleine Dubuis, soprano, Nelly Grétillat, alto, Ernst Haefliger, ténor, Paul Sandoz, bariton, Fernando Corena, basse, Maîtrise Protestante (chef de choeur: Roger Vuataz), Choeur de la Société symphonique (chef de choeur: Jean Dupérier), Groupe choral Ecole supérieure de jeunes filles (chef de choeur: Albert Paychère), Orchestre de la Suisse Romande, Ernest Ansermet, 12 mars 1945
27:28 Emmanuel Chabrier, Suite pastorale, pour orchestre, Orchestre de la Suisse Romande, Ernest Ansermet, 10 décembre 1945
Voir cette page (https://www.notrehistoire.ch/medias/114621) de Notre Histoire pour l' enregistrement de cette Suite pastorale.
47:43 Dmitri Schostakowitsch, fragments de la Symphonie no 7 en ut majeur, dite Leningrad, Orchestre de la Suisse Romande, Ernest Ansermet, 19 décembre 1945
Présenté dans cet article (notrehistoire.ch/medias/114704) de Notre Histoire.
J'aime beaucoup cette oeuvre. Merci René pour le soin que vous prenez toujours à documenter au mieux vos articles et à y ajouter de nombreux renvois nous permettant d'apprécier ces merveilles. Frank Martin mérite une meilleure reconnaissance !
Merci Pierre-Marie pour votre appréciation et vos compliments, qui m'encouragent à continuer! Je vais regarder dans mes fichiers ce que je peux présenter comme oeuvres de Frank Martin par l'intermédiaire des archives de la RTSR. Je ne peux pas mettre moi-même des audios de Frank Martin en écoute, car il est sous droit d'auteur jusqu'en 2045...