Drame sur l'alpage : garçon de 13 ans foudroyé

6 juillet 1952
Bernard Revey, Léon Monnier
Pierre-Marie Epiney

Le dimanche 6 juillet 1952 a été un jour marqué de noir pour le village d'Ayer et tout le personnel des alpages.

La foudre est tombée tuant net un garçon de 13 ans, Norbert Epiney, et 8 têtes de bétail.

Bernard Revey (*1941) qui fonctionnait comme petit pâtre dans l'alpage voisin a été marqué par cet événement.

Voici une tribune du lecteur publiée par le Nouvelliste valaisan le 11 juillet 1952 :

LE PETIT BERGER D'ANNIVIERS N’ÉTAIT PAS SEUL

M. Prosper Zufferey nous a envoyé la lettre que nous publions ci-dessous dans l’espoir d’une rectification de notre part.

Cependant, sa missive, tout en jugeant fort sévèrement notre information, se révèle être un émouvant hommage à la mémoire du petit Norbert Epiney et, à travers lui, à tous les pâtres de la montagne, héros anonymes de chaque jour, gardiens fidèles, risquant tout pour sauver leur troupeau.

M. Zufferey ne nous en voudra certainement pas de présenter sous cette forme la « rectification » qu’il était de notre devoir de faire.

RECTIFICATIF

Sion, le 9 juillet 1952

A la Rédaction du « Nouvelliste valaisan », St-Maurice

Monsieur le Rédacteur,

Dans le « Nouvelliste » no 157, du 8 juillet courant, vous avez annoncé dans un communiqué intitulé « Un drame à la montagne », la fin tragique du petit berger Norbert Epiney, d’Edouard, foudroyé sur un alpage du Val d’Anniviers.

Vous avez écrit en particulier que l’enfant « était SEUL à la montagne, gardant un troupeau de bétail » et vous avez ajouté : « On se demande quelles ont été les réactions de ce pauvre gosse de 13 ans, SEUL, loin des siens, par ce terrible orage qui devait lui coûter la vie ! »

Votre information, comme son commentaire, sont d’une si redoutable inexactitude qu’ils ont paru malveillants. L’indignation qu’ils ont provoquée est si grande que je crois devoir rectifier.

La vérité, la voici : Dimanche soir, le 6 juillet, un orage a éclaté à l’alpage de Barneujà sur Ayer, alors que quatre pâtres gardaient le troupeau de vaches, entre 20 et 21 heures. Soudain, la foudre tomba au milieu d’eux, tuant le jeune berger Norbert Epiney, fils d’Edouard, âgé de 13 ans, ainsi que 8 têtes de bétail. Tous les pâtres se sont aussitôt portés au secours de l’enfant, tentant l’impossible pour le ranimer.

Il était donc faux d’écrire que le petit berger était « SEUL sur la montagne», de même que les lignes qui suivent l’information.

L’enfant n’était pas seul et sur tous les alpages d’Anniviers, on rencontre des enfants. L’un des pâtres voulait précisément renvoyer celui-là au chalet voisin voyant que l’orage menaçait. L’orage toutefois, fait fréquent à la montagne, éclata avec une telle soudaineté que pâtres et bêtes furent surpris et foudroyés sur l’heure. La terrible tragédie s’est déroulée en quelques instants. La pluie cessa bientôt mais la mort avait passé.

Tel est parfois le sort tragique des pâtres de la montagne et des petits bergers qui vivent avec eux. Dans la vallée, combien de parents sont ainsi dans l’angoisse ! On comprend l’épouvante et la douleur qui les frappent lorsque survient un accident aussi cruel.

C’est un déchirement atroce pour une famille. Il convient donc que l’information soit exacte et ne déforme pas une situation suffisamment triste et déplorable par elle-même.

Vous m’obligeriez en apportant les rectifications nécessaires dans le prochain numéro de votre journal et, entre-temps, je vous présente, Monsieur le Rédacteur, l’assurance de ma considération distinguée.

Signé : Pr. Zufferey

Ce texte fait écho à cette évocation émouvante rapportée par Léon Monnier dans son ouvrage "les hauts pâturages de l'été", p. 124-125

Mort accidentelle d'un berger

Un soir de printemps, Jérémie Vianin, peu avant sa mort évoque devant moi le souvenir de son frère Germain, mort accidentellement à l'alpage de la Lée, en gardant les moutons, à l'âge de treize ans.

Le narrateur s'exprimait en patois, mais jamais je n'oublierai les accents de profonde émotion qui se dégageaient de cette évocation.

(...)

"En 1921, comme j'avais accepté la charge de vacher à l'alpage de la Lée, pour ne pas se séparer de moi, il [Germain] fit des pieds et des mains pour qu'on lui confiât la garde des moutons. Nous préparâmes ensemble la saison estivale. J'étais cordonnier de métier et lui confectionnai ce qu'il y avait de plus utile pour lui : une solide paire de chaussures. La vie de l'alpage nous rapprocha encore davantage. Le pauvre avait sous-estimé la rudesse de cette existence. Sans ma présence aurait-il supporté son éloignement familial ? Le matin, je veillais à ses besoins de la journée et lui prodiguais force conseils. La nuit, il cherchait, sur la paillasse, une place près de la mienne et le soir, quand ses moutons étaient en sûreté, il me rejoignait pour m'aider dans mon travail ou s'entretenir, avec moi, des nôtres qui trimaient là-bas au village. La saison avançait ainsi sans histoire dans le réconfort d'un rapprochement si étroit. Or, un soir, je ne le vis pas revenir à l'heure habituelle. Après une heure d'attente, l'inquiétude m'envahit. Les moutons, là-haut, semblaient anormalement dispersés. A la tombée de la nuit, munis de falots, nous partîmes à sa recherche. Nos appels restaient sans réponse. La certitude d'un malheur s'imposait de plus en plus en mon esprit. Ce n'est que le lendemain matin, aux premières lueurs du jour, que nous découvrîmes son corps sans vie au bas d'une paroi de rocher. Affolé, en proie à un immense désespoir, laissant à mes compagnons la garde du corps et le soin du troupeau, je me précipitai vers la descente et le village, porteur de la tragique nouvelle. Pendant quelques jours, j'étais comme hébété. Le souvenir des formalités juridiques, du transport du corps jusqu'au village, des obsèques à Vissoie s'est estompé pour cette raison de mon esprit. Il fallait pourtant bien reprendre mon service à l'alpage. Jamais mon travail ne me parut plus triste. Le souvenir de mon frère me hantait. J'étais inconsolable, en dépit des efforts faits par mes compagnons pour me prouver leur amitié et sympathie. J'ai eu, depuis, comme tant d'autres, la tristesse de perdre quelques proches parents. Mais ceux-là ont agonisé dans une chambre, entourés de soins, et en présence des membres de leur famille. Tandis que le pauvre Germain, seul, impuissant dans la nuit, souffrant atrocement m'a sans doute appelé à l'aide, moi, le frère qui l'aimait tant. Et ce sont ces appels qui ont résonné en moi souvent durant mon existence et, chaque fois, réveillant un immense chagrin."

Voir aussi ces documents :

Belle évocation de la mort en Anniviers par Hélène Zufferey

[En abattant un mélèze à Niouc, Joseph s'est fait écraser les jambes. On l'a emmené à l'hôpital de Sierre ... ]

Deux jours passèrent et Zacharie revint seul au village. Joseph venait de succomber à ses blessures. Marie [l’épouse de Joseph] était restée chez son cousin qui l'aidait à remplir les formalités. Les enfants pleuraient, serrés en tas près du poêle rond. Quelque chose de lourd s'installait dans leur maison. Maman fit mijoter une soupe aux légumes pour les deux familles. On se coinça sur le banc ; quinze personnes mangèrent ainsi sans dire un mot. Seul le sucement du liquide trop chaud se faisait entendre. Je n'aimais pas cette tristesse, ce silence comme un trou. La mort, c'est une chose qui vous gèle en entier. Gaspard n'arrivait pas à retenir ses larmes, je lui chuchotai à l'oreille pour le consoler : « Tu as encore une maman, comme moi... » Il me regarda et me sourit. Pierre alla dormir chez eux pour les rassurer. Le lendemain, Marie et son cousin remontèrent à pied à Saint-Luc, avec le mort qu'ils avaient placé sur le mulet. Une couverture le recouvrait, on devinait les jambes qui pendaient sur le flanc.

Journées de prière dans la grande chambre de Marie, voix régulières, écrasées à la fin des dizaines, reprenant sans cesse leurs rengaines suppliantes. Volets fermés, où passait juste une lame de lumière. Un cierge allumé, un brin de sapin dans le bénitier, le cercueil ouvert, le voile blanc sur le mort pour empêcher les mouches de le harceler ; le chapelet enlaçait les mains livides qui me glaçaient. Personne ne les touchait. Les groupes qui priaient se relayaient, le mort n'était jamais laissé seul. On le veilla nuit et jour jusqu'à l'enterrement. Maman disait pour nous réconforter : « Un mort, c'est une étoile de plus au ciel. »

Marie vivait un cauchemar. Jamais je ne l'avais vu si défaite, si absente. Comme si ce drame n'était pas le sien, comme si elle vivait par procuration la tragédie d'une autre vie. La mort hantait le village, on la sentait partout, sur la place, dans les ruelles, au fond des forêts, masquée par un rocher, prête à bondir sur nous . La vie de Joseph, tronquée à 45 ans, avait bouleversé la communauté.

Je me souviens de l'enterrement. Le silence, l’accablement. Le glas funèbre qui nous déchirait. Le cortège noir qui partait de la maison. La croix d’abord, le curé, puis la civière haussée sur les épaules des porteurs. Le cercueil était recouvert d'un drap mortuaire noir, orné d'une croix blanche et de deux bouquets de fleurs des champs cueillies par les enfants. Les fichus noirs des femmes ; les costumes, les vestons, les chapeaux, les foulards, tout était noir, profondément noir, en dépit du soleil qui ne réussissait pas à poncer la couleur, ni la douleur. La famille suivait le cercueil, les cinq enfants avançaient comme des automates penchés vers la terre. On déposa la bière dans l'église près des escaliers qui montent à la table de communion, les pieds du mort dirigés vers le choeur. On récita en latin l'office des morts puis la messe. L’offrande se déroula comme de coutume : chaque fidèle montait vers le chœur, baisait le reliquaire que lui présentait le curé puis s'approchait du cercueil qu'il bénissait. Il donnait son obole puis revenait à sa place.

Au cimetière, le cercueil descendit dans la fosse ; sa chute lente au fond du trou. Des bruits mouillés, des sanglots étouffés. Et cette résignation pieuse qui absorbait l'assemblée de sentiments d'humilité. La croix enfoncée dans le sol, le curé mit un peu de terre sur le cercueil et l'aspergea d'eau bénite en faisant le signe de croix. Puis les hommes, puis les femmes s'approchaient de la fosse et firent le même geste avec le goupillon.

Maman s'occupa de Marie en allant chaque soir chez elle. Elle revenait souvent les yeux rouges, le regard bouleversé, la question sans réponse sur son visage. Elle nous disait le soir : « Il faut prier pour elle, Marie doit trouver la force pour continuer. »

© Hélène Zufferey, Simon l’Anniviard, 2018, Editions Favre ; pages 109-112

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  • Renata Roveretto

    Que faut il penser ? L'urgence de rapporter, ainsi que la vantardise au détriment de la vérité et de la discrétion nécessitée par les plus touchée, prend souvent de façon dévorante le dessus.

  • Pierre-Marie Epiney

    Extrait de "Gamin" de Philippe Theytaz qui raconte sa vie de petit pâtre dans les alpages :

    "J'aime bien quand le curé vient à l'alpage : il apporte toujours à boire et manger qu'on n'a pas ici... Mais quand j'ai dit à papa Théo que la bénédiction du curé avait rien valu, il m'a répondu que sans elle, il y aurait eu plus d'accidents et plus de problèmes encore : la foudre qui tue le bétail et les pâtres, des chutes de pierre, des épidémies. Quand je lui ai demandé si le curé avait déjà béni l'alpage lorsque le petit pâtre de Barnoge [celui dont il est question dans ce témoignage] a été foudroyé avec plusieurs vaches, il n'a rien répondu. Parce qu'on a beaucoup parlé de ce malheur ; il avait à peu près le même âge que moi."

  • Pierre-Marie Epiney
Pierre-Marie Epiney
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7 avril 2020
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