Un village-ville industriel : Chippis !

Un village-ville industriel : Chippis !

1910
Phototypie Co, Neuchâtel; collection Pm Epiney
Pierre-Marie Epiney

Cette carte a été postée à Chippis à l'aube des années 30. L'oblitération est malheureusement illisible mais le Guillaume Tell violet qui affranchit la carte date de 1930. Cependant la carte est beaucoup plus ancienne. En la comparant avec le document ci-dessous posté en 1917, on peut penser qu'elle lui est contemporaine.

En regardant cette carte, ce qui frappe surtout, c'est l'insoutenable contraste entre le modeste village de Chippis et le monstrueux complexe industriel de l'usine. Celle-ci lance ses deux immenses hauts fourneaux à la conquête du ciel, affirmant le règne de l'aluminium sur le petit village. Et puis, il y a ces centaines de fours qui structurent le paysage, alvéoles laborieuses où s'épuisaient dans des conditions de vie et de travail insupportables les milliers d'ouvriers du groupe AIAG (Aluminium-Industrie-Aktien-Gesellschaft). Une grève éclata d'ailleurs en 1917 qui fut rapidement maîtrisée par l'armée.

A lire ce livre très critique paru aux Editions d'en bas :

"Alusuisse, 1888-1988; une histoire coloniale en Valais et dans le monde".

Un extrait de cet ouvrage (p. 190):

"On trouve dans les Archives fédérales, parmi les documents concernant l'attentat à la bombe [du 1er mai 1917], plus de 100 certificats de salaire. Ils prouvent qu'un ouvrier de l'AIAG (Aluminium-Industrie-Aktien-Gesellschaft) gagnait, en moyenne, 58,9 centimes l'heure. A titre d'indication, un kilogramme de beurre coûtait 6.30 francs suisses, un oeuf 32 centimes. Le salaire horaire variait pour chaque ouvrier. Le plus haut atteignait 97 centimes, le plus bas... 3 centimes."

Voir aussi cette carte expédiée en 1917:

Voir aussi ce document :

A visiter l'excellent article d'Albin Salamin :

Belle évocation d’Hélène Zufferey

Il y a les Lucquérands qui se sont installés à demeure dans la plaine parce que les possibilités de gain y sont plus nombreuses. Les remuages sont abandonnés, beaucoup d'hommes travaillent en fabriquent en fabrique à l'Alusuisse où ils reçoivent de l'argent sonnant. Leur premier salaire, la buste qu'ils jettent sur la table de la cuisine dans un cliquetis de gros sous. Et la mère peut aller au magasin et payer comptant la marchandise qu'elle achète. On se rend compte que l'argent gagné péniblement est vite dépensé. Un car vient chercher les ouvriers tôt le matin pour les transporter à la galère. Durant les mois d'hiver, ils ne voient plus le jour, ils oublient le bleu du ciel, le soleil qui est plus dur, ils ne savent plus si les arbres sont dépouillés, ils s'enquièrent du temps. En été, ils ne voient plus les fruits mûrir, ils n'entendent pas les oiseaux chanter, engouffrés dans le car puis dans la halle des fours, ils sont toute la journée enfermés. Plus d'air frais qui ranime leur visage harassé, ni de rayons qui les caressent, mais la chaleur violente d'une centaine de fours dont la gueule qui s'ouvre répand des bouffées de vapeur et de fumées brûlantes. « Mon frère Pierre, me dit Simon, a travaillé 30 ans à l'usine. Je suis allé le voir un jour : avec une branche de verne il devait taper dans le liquide en fusion et défaire la croûte de la bauxite pour que ça n'explose pas. C'était l'enfer. Intenable la chaleur où il se trouvait! Il buvait de la piquette pour se rafraîchir, il en buvait toujours plus, il a claqué à 60 ans, les poumons brûlés, le visage dur, sans graisse. On avait de la chance, nous sur les chantiers, on sentait le vent, le froid, les rafales du foehn, on était arrosé par le soleil. Le monde des machines, c'est pas la joie ! »

© Hélène Zufferey, Simon l’Anniviard, 2018, Editions Favre ; page 212

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  • Pierre-Marie Epiney

    Article complété par une description haute en couleur de l'écrivaine Hélène Zufferey

    • Renata Roveretto

      Cher monsieur Pierre-Marie Epiney, oui un article qui décrit bien une part de l'enfer sur terre, la preuve qu'il n'y a aucune raison de chercher trop loin pour trouver la porte du paradis

      Amitiés Renata

Pierre-Marie Epiney
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21 avril 2020
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