André de RIBAUPIERRE, courte biographie

René Gagnaux et sources citées dans le texte
René Gagnaux et sources citées dans le texte

29 mai 1893, Clarens - 17 janvier 1955, Rochester, N.Y., USA

André de Ribaupierre étudie le violon avec son frère, Émile de Ribaupierre (1887-1973), puis avec le maître polonais Ladislas Gorski. Il débute à 16 ans à Lausanne en 1909 dans la Symphonie espagnole de Lalo. L'année suivante, il joue à Londres avec succès. Sur les conseils de Paderewski, et sous son patronage, il fait ensuite des tournées en France (1911), en Angleterre, en Australie et en Nouvelle-Zélande (1912-1913) et à Berlin (1914).

La guerre de 1914 le ramène au pays où - à l'âge de vingt et un ans - il est nommé professeur des classes de virtuosité du Conservatoire de Lausanne. Cédant ensuite au désir qu'il a d'approcher Eugène Ysaÿe, il part à Cincinnati se perfectionner auprès de l'illustre violoniste, qui y dirige l'orchestre. Il travaille avec le maître et joue sous sa direction.

André de Ribaupierre fait ses débuts à New York en récital, le 30 mars 1920, à l'Aeolian Hall, avec une Sonate de Leclair, une transcription d'un Concerto de Mozart, une Sarabande et Bourrée de J.S. Bach, Rêve d'enfant et Lointain passé d'Ysaÿe, et Introduction et Rondo Capriccioso de Saint-Saëns. En mai 1920, Ysaÿe écrit une lettre de recommandation pour son élève:

"Je suis heureux de pouvoir, en toute conscience et en toute sincérité recommander le talent de tout premier ordre de M. André de Ribaupierre. Ce jeune violoniste est déjà un maître, son jeu est bien personnel, sa technique est parfaite et son sentiment très poétique et toujours de bon goût. M. de Ribaupierre est de plus un excellent musicien et un homme du monde d'une culture absolument supérieure. En le recommandant, je remplis un devoir d'artiste vis-à-vis d'un collègue plus qu'un plaisir de professeur vis-à-vis de son élève."

En 1921 Ysaÿe le désigne pour reprendre sa classe de virtuosité au Conservatoire de Cincinnati. À la même époque, Ernest Bloch l'appelle à l'Institut de musique de Cleveland. André de Ribaupierre se partagera au début entre ces deux institutions, avant de se consacrer entièrement à Cleveland, devenant l'ami et le bras droit de Bloch. Ardent défenseur de sa musique, André de Ribaupierre donnera par exemple la première mondiale de Baal Shem à Cleveland, le 6 février 1924 au Temple B'naï Jeshurun. Le 24 janvier 1925, il donne avec Béryl Rubinstein, la première mondiale du Poème Mystique qui leur est dédié, à New York. En juin 1925, Bloch part de l'Institut mais Ribaupierre restera à l'Institut de Cleveland.

René Gagnaux
Institut de Ribaupierre
Institut de Ribaupierre

En 1929, le mal du pays le fait aussi revenir en Suisse. Il participe à la direction de l'Institut de Ribaupierre (voir aussi cette page) fondé à Lausanne par sa soeur Mathilde et son frère Émile, avec des succursales à Vevey et Montreux. En plus de son activité pédagogique à l'Institut de Lausanne et au Conservatoire de Genève (classe de virtuosité), il déploie une activité musicale intense.

Le Quatuor de Ribaupierre, à l'œuvre de 1917 à 1938, était formé d' André et Emile de Ribaupierre et différents partenaires suivant les époques. En 1931, il en fonde la troisième formation, avec André Loew au second violon, son frère Émile à l'alto, et Jean Décosterd au violoncelle:

René Gagnaux
Quatuor de Ribaupierre, 3e formation
1932
Quatuor de Ribaupierre, 3e formation

En 1936, André Loew est remplacé par Madeleine Gonser:

Le Quatuor de Ribaupierre dans les années trente (troisième formation). De gauche à droite: Emile de Ribaupierre (alto), Madeleine Gonser (second violon), André de Ribaupierre (premier violon), Jean Décosterd (violoncelle). Photographe inconnu, une photo publiée entre autres dans Joseph Lewinski et Emmanuelle Dijon, «Ernest Bloch - Sa vie et sa pensée, Tome III, 1930-1938 - Le retour en Europe», page 224, Éditions Slatkine, Genève, 2004, ISBN 2051019495, épuisé

Dans les années 1930-1940, André de Ribaupierre donne de nombreux concerts avec l'Orchestre de la Suisse Romande sous la direction d'Ernest Ansermet: Concerto n° 2 de Szymanowski (1930), Concerto en sol majeur de Mozart (1931), Symphonie espagnole de Lalo (1931), Concerto en mi majeur de Bach (1934), Concerto de Beethoven (1936), Concerto n°2 de Prokofiev (1938), Divertissement de Jean Binet (1939), et Concerto de Brahms (1941).

Sa situation matérielle, comme celle de tant d'artistes de son pays restait toutefois médiocre. Vingt années d'efforts soutenus n'avaient pu lui assurer une situation décente. Aussi, est-ce avec un vrai serrement de coeur qu'André de Ribaupierre s'était décidé à accepter les offres de l'Eastman School, aux États-Unis.

André de Ribaupierre devant son chalet-studio aux Haudères, en Valais - Un photo-montage de ?? publié en couverture de la revue Le Radio du 20 août 1937, No 750

Chaque été, André de Ribaupierre revenait dans son chalet des Haudères (dans le Val d'Hérens) pour y donner son cours de musique de chambre, mais plus encore pour rentrer "au pays" et retrouver ce paysage qu'il aimait tant.

René Gagnaux
Ribaupierre, Chalet aux Haudères
1937
Ribaupierre, Chalet aux Haudères

Un des intérieurs du chalet des Ribaupierre aux Haudères, une photo publiée dans la revue Le Radio du 20 août 1937, No 750, page 1379

Miné d'un mal impitoyable et décédé trop jeune, il n'a hélas pas pu avoir la joie d'y revenir définitivement, comme il l'espérait de toute son âme pendant ses dernières années d'exil.

La généticienne Kitty Ponse, amie de Bloch, raconte dans la Tribune de Genève:

"[...] Avec lui, un chapitre merveilleux est clos: celui du cours de musique de chambre, qui renaissait chaque année, miraculeusement en juillet, dans le cadre unique du Val d'Hérens. À la jonction de la Borgne de Ferpècle et de la Borgne d'Arolla, un petit village; dans ce petit village, une modeste école, fermée l'été. Elle s'ouvrait depuis vingt-cinq ans, en juillet, pour recevoir des musiciens. En quelques jours, la paille était déblayée, vitres et planchers lavés, et de savantes installations électriques improvisées.

Le jour dit des théories d'élèves anciens et nouveaux, venus de partout, d'Amérique aussi, montaient le sentier raide et poussiéreux vers le groupe des chalets des Foches, au-dessus du village. Ils étaient accueillis avec une incomparable cordialité par la famille tout entière et recevaient le premier choc de la beauté du pays. Aussitôt, une activité fébrile et concentrée se déclenchait. En quelques heures, dans la salle basse de l'école ou au nouveau studio naissaient des quatuors, des quintettes, des duos ou même des trios si quelque flûtiste ou hautboïste se mettait de la partie. Le maître se dépensait sans compter. Plus qu'un grand musicien, plus qu'un excellent pédagogue, André de Ribaupierre a su créer quelque chose d'unique et d'inespéré.[...]"

Dans le Journal de Genève du 18 janvier 1955 en page 7, Franz Walter rendait hommage à «celui qui escaladait le Cervin (4478m), violon sur le dos, pour jouer du Bach au sommet»:

"[...] Pas de joie plus complète pour lui que d'escalader un "4000" et d'entonner la Chaconne en plein ciel. Seuls ceux qui ont participé à ses cours estivaux qu'il avait créés aux Haudères, sauront vous en révéler l'étonnante atmosphère, qui transformait pendant quelques semaines le village valaisan en la plus étrange des ruches musicales [...]

Le samedi, on partait en excursion et, à l'instar du "joueur de flûte", André de Ribaupierre conduisait sa caravane au son de son violon qu'il ne lâchait que pour escalader quelque enrochement propre à porter son chant plus haut, plus loin.[...]

Avec André de Ribaupierre disparaît le meilleur violoniste que la Suisse ait jamais compté, bien que la nature même de sa personnalité, où certains extrêmes se touchaient, n'ait pas rencontré partout dans son pays un accueil identiquement unanime et que paradoxalement ses triomphes se soient affirmés davantage en Suisse alémanique qu'en pays welsche — qui n'a jamais soutenu ses artistes avec une particulière frénésie — et peut-être peut-on trouver là une des raisons pour lesquelles il accepta avec empressement l'offre américaine.

Quant à nous, nous garderons le souvenir extrêmement vivace d'André de Ribaupierre dans ses meilleurs jours, où alors certaines de ses interprétations animées d'un souffle irrésistible et singulièrement puissant — Bach, Beethoven, Brahms — étaient proprement inoubliables. Je pense en particulier aux derniers Quatuors de Beethoven... [...]"

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Courte biographie établie en majeure partie d'après les pages 329 et 330 de l'ouvrage de Joseph Lewinski et Emmanuelle Dijon, «Ernest Bloch - Sa vie et sa pensée, Tome II, 1916-1930 - La consécration américaine», Éditions Slatkine, Genève, 19/09/2001, ISBN 2051018502, EAN13 9782051018500

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Pour plus de détails sur la vie d'André de Ribaupierre lire par exemple l'ouvrage «André de Ribaupierre - Une famille au service de la musique» d'Antonin SCHERRER paru en 2017 chez Infolio, Collection Cahiers de l'Institut de Ribaupierre, ISBN / EAN 978-2-88474-392-1 / 9782884743921.

Un extrait de l'émission «Magma», volet du 29 octobre 2015, intitulé «La famille de Ribaupierre et les 100 ans de leur Institut de musique» nous permet d'entendre la voix d'André de Ribaupierre et quelques très courts extraits d'enregistrements d'archive.

Cité de la page de cette archive:

Antonin Scherrer retrace, au fil d'archives RTS, le parcours d'André de Ribaupierre (1890-1955), violoniste virtuose élève entre autres d'Eugène Ysaÿe, et de son frère Emile.

Mathilde, Emile et André de Ribaupierre ouvraient en septembre 1915 leur premier Institut de musique à Montreux, suivi quelques mois plus tard d'une antenne à Lausanne, puis à Vevey, Aigle, Orbe et Château-d'Oex. Un engagement pédagogique en avance sur son temps, hérité d'une culture musicale de haut vol.

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René Gagnaux
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29 août 2019
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