Du temps où les débarcadères n'existaient pas
Lorsque les premiers vapeurs de la Compagnie générale de Navigation CGN sont entrés en service sur le Léman, tous les ports ne disposaient pas de débarcadères. Les passagers étaient transportés de la rive au bateau, et vice-versa, sur de petites embarcations conduites par des bateliers appelés "radeleurs". Par mauvais temps, la promenade lacustre pouvait se transformer en épopée et les voyageurs se devaient d'avoir le cœur bien accroché.
Rolle, le débarcadère en construction, 1870.
Ce mode d'abordage, encore commun en mer, déplaisait fortement à Rodolphe Toepffer (1799-1846), inventeur de la bande-dessinée et auteur du célèbre Voyages en zig-zag, en a tracé de bien pittoresques tableaux.
En 1824, le Guillaume-Tell, qui fut le premier vapeur du Léman, mettait deux heures de Genève à Nyon, trois heures et demie jusqu'à Rolle, cinq heures jusqu'à Morges, six jusqu'à Ouchy et huit jusqu'à Vevey. Une quinzaine d'années plus tard, des compagnies concurrentes lancèrent quatre nouveaux bateaux qui s'efforçaient de lutter de vitesse ; c'étaient le Winkelried, l'Aigle, le Léman, qui avait les préférences de Toepffer.
Le Conteur Vaudois du 20 septembre 1913 en donne quelques extraits qui traduisent une réalité aujourd'hui largement oubliée.
Vers une heure (le 15 août 1838), écrit Toepffer, nous touchons à Villeneuve, c'est-à-dire que nous y toucherons, si nous ne touchons pas auparavant le fond de l'eau. En effet, Aigle ne songe déjà qu'à s'en retourner bien vite, et il nous jette pêle-mêle dans des bateaux qui flottent au hasard des velléités de deux manants. Le bateau qui nous porte regorge de paquets, de malles, de gens, les uns debout, les autres assis, certains équilibrés ; et la moindre secousse, le moindre ébranlement nous amènerait la visite de l'onde bleue. C'est peu gai. Les deux manants, l'un à l'avant, l'autre à l'arrière, debout sur les rebords, font une sorte de manœuvre molle et sans accord.
Toepffer ne cache pas son malaise à l'idée de confier sa personne à ces bateliers. Il craint à tout moment l'accident et malheureusement l'histoire lui donnera raison, puisque en 1863, quelques années après son récit, un radeleur passa sous les roues de l'Helvétie avec son équipage.
Ces petits bateaux que l'on surcharge, poursuit Toepffer, qui ont contre eux la chance du vent, celle de manquer la corde qu'on leur jette, et bien d'autres, sont des embarcations détestables, quoi que l'on puisse arguer des accidents qui ne sont pas encore arrivés, mais qui arriveront, nous n'en doutons pas. D'ailleurs, n'est-ce rien que de faire trembler les gens pour eux et pour les leurs, et doivent-ils se tenir pour contents, parce qu'on ne les a pas noyés ? Beaucoup de personnes de notre connaissance ne voyagent pas par le lac pour n'avoir pas à courir la chance de ces débarquements ; et, quant à nous, notre principal motif autrefois pour descendre à Villeneuve, où le bateau passait Ia nuit, et où le débarquement se faisait à loisir et tout près de terre, c'était d'éviter les débarquements intermédiaires et peu sûrs d'*Ouchy et de **Vevey.
* C’est au début des années 1880 que le quai d'Ouchy est construit avec ses platanes et son jardin anglais et son débarcadère en 1884, auparavant les bateaux accostaient devant le Beau-rivage.
**Le débarcadère de Vevey-Marché date de 1857 et il sera déplacé et reconstruit en 1899.
Carte postale du débarcadère d'Ouchy en 1900
Sources
Conteur vaudois: journal de la Suisse romande, 20 septembre 1913 (en ligne) e-periodica.ch/digbib/view?pid...notrehistoire.ch/tags/1057">#1...
"Vevey" dans l' INSA Inventaire suisse d'architecture, 1850-1920 (en ligne) e-periodica.ch/cntmng?pid=ins-...
Image de couverture
Musée du Léman, ML/2019/0381 (en ligne)
collections-musees.nyon.ch/fr/...
Pour aller plus loin
"Les voyages en zigzag" de Rodolphe Töpffer à découvrir sur notreHistoire.ch dans la Bibliothèque numérique romand
Ah ! Toepffer ! mon père adorait nous lire ses histoires... Merci pour cet intéressant reportage. J'ignorais qu'il était si dangereux d'aborder le rivage après un voyage en bateau en ces temps où les voyages sur l'eau étaient beaucoup plus habituels.
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Cher monsieur Albin Salamin, qui (nous ) ? Pour ma part je ne peux pas en dire autant, mais toutefois très passionnant et j'ai lu assez pour être au courant de la véracité de vos dires et combien je le comprend ce cher M. Rodolphe Toepffer
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Mais voyons, est-ce que je me suis si mal exprimée ? Ma question allait dans le sens de, est-ce que vos souvenirs de lecture venaient t'ils peut-être encore de l'enfance, voir peut-être quand vous étiez encore à l'école... idée qui me plaisais vraiment beaucoup, surtout en me rappelant le plaisir éprouvé durant les heures de lecture ayant été encore dans l'enfance
Voilà c'était ça
Bonne soirée