L'incendie de Vissoie
L'incendie de Vissoie
Dans les archives de Léon Monnier se trouve le rapport écrit par Jean-Marie de Chastonay, sous-préfet du district de Sierre et futur Conseiller d'Etat. Son analyse minutieuse adressée aux autorités cantonales permet de prendre conscience de l'ampleur de l'incendie du 21 septembre 1880 qui a détruit le tiers du village de Vissoie. Pour une meilleure lisibilité, j'ai ajouté des intertitres entre crochets.
- La lettre transcrite ci-dessous, page 1 de 4
Sierre, le 23 septembre 1880
Au Département de l’Intérieur du Canton du Valais, Sion
Monsieur le Conseiller d’Etat,
Conformément à votre dépêche du 22 courant, je me suis rendu hier à Vissoie, accompagné du gendarme Vannay, pour constater l’étendue de l’incendie et m’enquérir sur les besoins des sinistrés.
[Le tiers du village en fumée !]
L’incendie dont on ignore encore les motifs, s’est déclaré dans la nuit du 20 au 21 septembre, vers les 2 heures du matin ; il a commencé dans une grange, où quelque passant aura probablement couché, située dans un massif de constructions en bois entre la vieille tour épiscopale Theytaz, l’église paroissiale et la maison communale. Grâce au calme de la température et au secours énergique et intelligent des populations voisines, Vissoie a été sauvée d’une destruction générale. L’église paroissiale dont le toit avait pris feu, le bureau de l’état civil dans la maison construite en pierres de M. le Capitaine Monnier et la maison de Commune sont sauvés. La vieille tour épiscopale est brûlée à l’intérieur, les quatre murs sont encore bons et il serait à désirer qu’on prit des mesures pour la conservation de ce monument historique.
[Pas de victime humaine ou animale]
Les autorités m’ont déclaré n’avoir à consigner la perte d’aucun document officiel ; il n’y a de même ni de vie humaine, ni la perte d’animaux à déplorer. Les flammes ont dévoré 4 maisons d’habitation et la tour et 35 greniers ou écuries, granges, caves, remises remplies de provisions, en total 40 corps de bâtiments plus ou moins importants, soit environ le tiers du village. Des personnes compétentes taxent la perte de 70-80 mille francs.
[Seuls 2 propriétaires assurés !]
Deux seuls propriétaires étaient assurés ! Les bâtiments réduits en cendres étaient la propriété fort divisée de près de 200 personnes. La perte est ainsi répartie sur un grand nombre. Je dois renoncer pour le moment à vous donner un état nominatif des sinistrés. La population supporte cette dure épreuve avec une admirable résignation chrétienne. Ayant réuni les présidents des Communes de St-Jean, Grimentz et Ayer (Vissoie), je les ai interrogés si au nombre des victimes se trouvaient des gens qui auraient besoin de secours.
[Pas de recours à la charité mais…]
M.M. les représentants unanimes, ainsi que la population, ont déclaré qu’aucun des sinistrés n’est réduit à la misère vu qu’ils sont propriétaires ailleurs, et ils renoncent de demander des secours à la charité publique.
Cette noble attitude des Autorités et de la population qui trouve dans l’épargne et le travail les réponses pour supporter le malheur qui les frappe, m’a vivement impressionné et mérite une mention honorable.
[… subside bienvenu]
Si toutefois le H. Gouvernement voulait bien dans sa haute sollicitude voter un subside en faveur de Vissoie, M.M. les représentants l’accepteraient avec reconnaissance et ils précisent que cette valeur serait appliquée à la reconstruction générale soit pour exproprier un terrain en vue des élargissements des passages, soit pour la couverture en dur de nouvelles constructions, pour éviter de nouveaux dangers.
Quelques xxx dont l’énergie et le courage sont au-dessus de tout éloge parlant déjà de vouloir mettre immédiatement la main à la reconstruction de leurs bâtiments encore fumants, il serait à désirer qu’un ingénieur de l’Etat leur donnât quelques conseils à ce sujet.
Je me fais l’interprète des Autorités et de la population en deuil de Vissoie en exprimant au H. Gouvernement la plus profonde reconnaissance pour sa sollicitude en le priant instamment de bien vouloir la continuer.
Veuillez agréer, Monsieur le Conseiller d’Etat, l’assurance de ma très haute considération.
Le préfet-substitut de Sierre
[Jean-Marie de] Chastonay
Et qu'en est-il de la tour en bois ?
Etonnamment, ce rapport ne signale pas la destruction complète du ballios, cette tour en bois dans laquelle se tenaient les assemblées du peuple et les séances du tribunal. [source]
"Le texte même implique que le bourg est constitué par des maisons «contiguës », dont les murs extérieurs devaient former une enceinte et au milieu desquels il y a une tour en pierre, la « cour-neuve », et une tour en bois, le « ballios »."
- Plan général du bourg de Vissoie par Louis Blondel, croquis de l'auteur d'après une vue aérienne du Service topographique fédéral
Une présentation plus succinte signalée par Michel Savioz ici.
Des journaux se font écho de l'incendie
Pour voir en grand, cliquer sur ce lien.
Des soutiens affluent de Suisse romande
Dans les archives précitées se trouve un corpus de 5 lettres dont l'une est clairement adressée à "Monsieur Monnier, hôtel d'Anniviers".
Selon Paul-André Florey, auteur de "Vissoie, village médiéval", il s'agirait de Basile Monnier, grand-père de Léon.
[de Lausanne, le 23 septembre 1880]
C'est avec un grand chagrin que j'ai lu à mon arrivée votre dépêche d'avant-hier, j'attendais presque une lettre pour avoir des détails que vous voudrez bien me communiquer dès que vous le pourrez et aussi si les sinistrés ont besoin de secours de leurs confédérés du Canton de Vaud et en particulier de notre localité, qui est toujours la main ouverte pour ces cas-là. Je suppose que la maison où était le dépôt des postes et les voisines sont détruites. L'ami Martin a-t-il été atteint ? Vous pourrez presque me désigner par les états, cordonnier, maréchal... ceux qui ont souffert. Veuillez agréer en attendant de nouveaux détails, mes salutations cordiales.
signé : Renevier
[de Genève, le 23 septembre 1880]
Cher Monsieur,
J'apprends par le Journal de Genève qu'un incendie assez grave a éclaté à Vissoie et détruit quelques granges et 5 maisons.
Donnez-moi quelques détails sur ce malheur et veuillez me dire si quelque personne de ma connaissance est parmi les incendiés.
J'ai été bien attristé quand j'ai appris cette fâcheuse nouvelle, mais cependant quand on connaît comme est bâti Vissoie, il y a lieu de remercier Dieu que le sinistre ne soit pas plus grand.
J'attends cher Monsieur, ... Est-ce que les bons amis Genoud ont souffert?...
signé : D. Lenoir
Mais encore
- Pour illustrer cet article, une vue de Vissoie de P. Vionnet datée de 1878, soit avant l'incendie.
- Jean-Marie de Chastonay (1845-1906) rédacteur de cette lettre, sous-préfet du district de Sierre, conseiller d'Etat, chef du DI,1893-1897 [source]
- Selon l'article de Michel Savioz cité ci-dessous, "800 francs ont été versés par la Caisse cantonale", sans doute une réponse officielle à la demande de Jean-Marie de Chastonay.
A consulter aussi :
Article de Patrick Elsig signalé par Valérie Clerc ici.
Merci pour ce témoignage fort intéressant et bien documenté! Ce récit met le doigt sur la sensibilité naissante en faveur de la protection du patrimoine. Ce n'est en effet qu'en novembre 1906 que le Grand Conseil valaisan adopte la loi sur la conservation des objets d'art et des monuments historiques. Plusieurs initiatives d'érudits ont précédé l'introduction de cette base légale. On peut d'ailleurs cité le combat pionnier du peintre et artiste Raphaël Ritz. L'historien Patrick Elsig livre une précieuse synthèse de la naissance de la notion de patrimoine en Valais dans l'article que voici: core.ac.uk/download/pdf/206530...
Merci. J'ajoute votre référence dans le corps de l'article.
A lire également notrehistoire.ch/entries/aZnYJ...
En bas à gauche sous la Tour d'Anniviers on distingue un édifice avec une cheminée. Serait-ce la Tour en bois du "Ballios"? Dans le lien ci-dessous on parle d'une photographie de 1878! Je pense que c'est de ce document exceptionnel qu'il s'agit...! archeologie-anniviers.ch/le-ba...
C'est exactement cela. Merci Michel de donner accès à une version plus agréable à lire et plus succinte que l'original de Louis BLONDEL paru dans les Annales valaisannes, 29, 1954, p. 169-182 sous le titre : «La tour de bois et le bourg de Vissoie ».
À lire également notrehistoire.ch/entries/Xb1Bo...
"Des soutiens affluent de Suisse romande". Lettre adressée à M. Monnier, hôtel d'Anniviers: il s'agit de Basile Monnier grand-père de Léon et non de Chrétien père de Léon!
Merci à Paul-André, auteur de "Vissoie, village médiéval", mémoire d'Anniviers.