L’Hôpital de Sierre a 100 ans

6 novembre 2022
Charly Arbellay
Charly Arbellay

L’Hôpital de Sierre a 100 ans

Par Charly Arbellay

Forte croissance démographique à Sierre

La grippe espagnole de 1918 a-t-elle été le déclencheur du projet d’un hôpital régional à Sierre ? Certainement, mais pas seulement. L’évolution économique et démographique de la ville est, à cette période, plus forte à Sierre qu’ailleurs. De 1900 à 1930 la population augmente de 122 % alors qu’elle est à peine de 10 % dans l’ensemble du Valais. En 1900, l’agglomération compte 1833 habitants, 4950 habitants en 1930. L’arrivée, en 1907, de l’usine d’aluminium de Chippis y est pour quelque chose assurément.

Premier hôpital

Le premier hôpital de la ville était situé dans un immeuble qui sera ouvert en 1900 et porte le nom d’Asile des pauvres, puis le Foyer St-Joseph. En 1912, le docteur chirurgien Gustave Turini (1875-1961) devient le chirurgien de l’asile. Il pratiquait les opérations, notamment le goitre, l’appendicite, les hernies inguinales. Parfois sans anesthésie. Il est aidé par les sœurs de la Sainte-Croix d’Ingenbohl. L’établissement était d’un autre temps. Après la première guerre mondiale, les cas de tuberculose étaient partout de plus en plus fréquents. Le Valais connaîtra la plus forte mortalité de Suisse. Pourtant les autorités cantonales ne développent pas de lutte systématique. Il n’y a pas de « pavillon d’isolement » dans les hôpitaux. Elles se rattraperont plus tard avec le Sana valaisan.

Voir ce document :

22 projets pour un nouvel hôpital

En décembre 1916, l’assemblée primaire vote un montant de 50'000 francs pour un projet d’hôpital cantonal à Sierre. Cependant, le gouvernement valaisan l’estime trop décentralisé par rapport au canton. Il propose que Sierre abrite un hôpital d’arrondissement. On garde donc l’argent pour lancer un nouveau projet. Celui-ci se fera sous forme d’un concours d’architecture. Le 22 avril 1919, le jury présidé par E. Prince à Neuchâtel, analyse les vingt-deux projets remis dans les délais. Il attribue le premier prix au projet intitulé « Hygiène » de l’architecte René Bonnard à Lausanne. Les projets sont présentés au public et exposés à l’Hôtel Château Bellevue. Le conseil communal prend acte du rapport du jury et demande que l’architecte sierrois Albert Muller, arrivé au troisième rang, collabore à la construction et à la surveillance du chantier. Müller avait le téléphone, le numéro 21. Fort de cette modernité, il sera la tête de pont du bureau Bonnard et lui communiquera jour après jour l’avancement du chantier. Le projet dépasse le million de francs, une somme considérable pour l’époque.

Fort engouement de la population

L’engouement du district pour un hôpital moderne est total. Les communes du district participent et la population se montre particulièrement généreuse. Elle organise des fêtes, des lotos, des séances de cinéma, des soirées théâtrales. Cependant, face à de grands donateurs, les montants recueillis sont dérisoires. Voyez plutôt :

  • Public et loteries 10'606.-
  • Aluminium SA 200’000.-
  • Jean-Jacques Mercier 200'000.-
  • Canton et communes 135'946.-

Jean-Jacques Mercier dissuade le futur médecin-chef d’adjoindre un service antituberculeux « Pour le bien de Sierre » dit-il. Sa veuve pensera autrement !

Un emprunt côté en bourse

La ville joue son rôle de capitale du district. Elle lance un emprunt de 800'000 francs sur dix ans au taux de 6 pour cent de 1921 qui servira non seulement à financer l’hôpital mais également les écoles et le diguement du Rhône. L’emprunt sera côté en bourse.

Un hôpital à la pointe... en 1922

Le terrain prévu se situe à Villa, la zone la plus ensoleillée de la ville. Les mises en soumissions démarrent au printemps 1920 et les artisans doivent les remettre en main-propre du président de la municipalité, le radical Maurice Bonvin (président de 1917 à 1940, soit 33 ans). Les fondations commencent à l’été 1920 et l’hôpital sera achevé en 1922. Il dispose des découvertes à la pointe, notamment un laboratoire de radiographie au rayon X. Tellement moderne que 29 médecins hollandais, accompagnés du médecin cantonal Coquoz le visiteront le 3 août 1923. Cependant, il y avait à Sierre une clinique privée, la clinique Beau-Site que dirigeait un jeune médecin, le Dr Eugène Ducrey (1891-1975) qui prendra en 1927, la direction de la clinique de la Moubra à Montana.

Selon les vœux de la famille Mercier, généreuse donatrice, le médecin en chef sera le Dr et chirurgien Gustave Turini qui a participé à toutes les étapes du nouvel hôpital. Dès l’entrée en fonction il peut compter sur le généreux service de huit Sœurs de la Sainte-Croix d’Ingenbohl. Un aumônier est nommé en la personne du prêtre Erasme Zufferey de Vissoie (1883-1931), condisciple de Mgr Victor Bieler, évêque de Sion. Dès 1923, l’hôpital prend son rythme de croisière. On y apprend que le prix de la pension est de quatre francs par jour pour les adultes des communes associées et de trois francs pour les enfants. L’hôpital est chauffé au charbon et consomme 45 tonnes de coke de la Ruhr, l’anthracite de la mine de Grône n’entrant pas en considération. Enfin la presse annonce le plus heureux des événements, la naissance de triplé à Pâques 1926. «Trois fillettes parfaitement saines ». Surpris, l’heureux papa a déclaré : «Seigneur, suspendez maintenant vos bénédictions, sinon ma famille grossira plus que je ne le souhaite», a rapporté le Walliser Bote. C’est dans cet hôpital que le 28 mars 1948 décédait la duchesse Vendôme, sœur du roi des Belge.

Enfin un pavillon pour les tuberculeux

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  • L’hôpital en 1939. On y a construit à gauche, le pavillon des tuberculeux. Collection Arbellay

En 1939, Marie Mercier-de Molin, veuve de Jean-Jacques, soutient largement l’édification d’un pavillon pour les tuberculeux qui sera construit à l’ouest de l’hôpital. Son époux Jean-Jacques Mercier n’en voulait pas craignant la contamination des Sierrois.

Nouveau projet en 1988

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  • En 1982, une salle des urgences dotée d’une aire d’atterrissage pour hélicoptère est construite. Photo Arbellay

L’établissement poursuit sa mission de santé publique s’agrandissant au fur et à mesure que la population augmente. Cependant, en 1960, intervient la planification hospitalière valaisanne qui souhaite mieux positionner les établissements de santé sur son territoire. C’est ainsi que naît l’idée d’un nouvel hôpital plus en adéquation avec le monde économique et touristique des districts de Sierre et Loèche. Et c’est en 1986 que le projet d’un nouvel hôpital est lancé. Celui sera construit à l’est du désormais ancien hôpital. Il sera inauguré par François-Xavier Amherdt le 18 octobre 1993. Il aura coûté 115 millions de francs.

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  • L’hôpital régional en 1993. On devine les diverses extensions ainsi que le bâtiment du personnel qui porte l’adresse de Bonne Eau 18. Collection Arbellay

En 1994, le nouvel hôpital d’arrondissement de Sierre est mis en exploitation. Avec cet établissement, le Valais, divisé en sept zones hospitalières, dispose d’un réseau de soins à l’état de neuf, complet et performant.

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  • Le nouvel hôpital, moderne – photo prise en 2004 depuis le château Mercier. photo Arbellay

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  • Dernier vol pour l’Alouette III retirée de vol depuis 2017. Photo : Arbellay

De l'art médical à l'art contemporain

Le 12 juin 1996, l’Ecole des Beaux-Arts (ECAB) à Sion, fondée à Saxon en 1949, déménage à Sierre dans les locaux de l’ancien hôpital. La Ville de Sierre, qui avait postulé pour cette école, reçoit l’appui de la députation, du Conseil général, du Conseil communal, des communes du district et de l’Hôpital de Sierre. Dix-neuf communes du district acceptent de la soutenir. A la suite de cette migration en terre sierroise, l’Ecole des Beaux-Arts change d’appellation pour devenir d’Ecole cantonale d’art du Valais (ECAV). Celle-ci adoptera en 2019 une nouvelle identité encore : Ecole de design et haute école d’art, du Valais (EDHEA).

De 1922 à 2022, Sierre a hérité l’art médical et l’art contemporain. Du grand art !

Voir aussi ces documents :

Au sujet du docteur Turini, voir ce document :

Médecins de mon enfance
Entre 2007 et 2010, Rose Bünter-Salamin (1927-2012) a tenu un blog sur romandie.com. En février 2012...

Bibliographie

  • Feuille commerciale de Sierre de 1918 à 1930.
  • Bourgeoisie de Sierre, l’essor d’une institution de 1850 à nos jours, Muriel Borgeat-Theler et Sophie Providoli, Monographic 2013.
  • Sierre, temps et moments – Henri Maître, Monographic Sierre 1995.
  • Histoire de la santé en Valais de 1815 à 2015, Marie-France Vouilloz Burnier 2015.
  • Mélanges 1915-1966, société d’histoire du Valais romand 1966.
  • Le Passé retrouvé Erasme Zufferey, tomme II, amendé par Michel Salamin 1973.
  • Le château Mercier-Pascal Ruedin Monographic 1998.
  • Le Valais, chronique illustrée de la préhistoire au XXe siècle – René Arbellay 2005.

Légende de la photo d'illustration

L’hôpital de Sierre, inauguré en 1922. Derrière, la Noble Contrée et le Mont-Bonvin. Collection Arbellay

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  • Valérie Clerc

    Incroyable épopée que celle des soins en Valais! Merci pour cet historique institutionnel. Aujourd'hui, la position de Jean-Jacques Mercier qui ne souhaitait pas adjoindre un service antituberculeux à l'hôpital: « Pour le bien de Sierre » semble incompréhensible. Cela a piqué ma curiosité, car le notable était une personne instruite et donc au courant des ravages occasionnés par la maladie. C'est en 1909 qu'un postulat au Conseil national, avait demandé de modifier l'article 69 de la Constitution fédérale, afin de permettre à la Confédération de prendre les mesures nécessaires à la lutte contre la tuberculose. Le postulat a été accepté, et les travaux pour l'élaboration d'une loi ont immédiatement débuté. En 1914, un avant-projet était prêt, mais la Première Guerre mondiale a suspendu net toute avancée. Le rejet, le 3 juin 1923, de la loi sur l'alcool a retardé l'entrée en vigueur de la loi destinée à intensifier la lutte contre la tuberculose. Ce n'est que le 13 juin 1928 que la maladie disposait d'un cadre de lutte fédéral. La construction de l'Hôpital de Sierre précède de peu la législation, c'est donc dans ce vide juridique que la construction de l'aile des tuberculeux est remise à plus tard.