"la funeste passion des reines"

octobre, 2020
Pierre-Marie Epiney et Thierry Epiney pour la musique

Urbain Kittel (*1931) est une personnalité incontournable du Val d’Anniviers, le chef de clan déclaré des Vissoyards, un ancien que l'on consulte pour son regard frais sur le développement touristique des vallées alpines. Pascal Couchepin reconnaît en lui un « promoteur mesuré ».

Président de Vissoie durant deux périodes, entre 1969 et 1977, il a réuni le score quasi stalinien de 98% lors de sa première élection. Député suppléant puis député pendant 16 ans au Grand Conseil, celui que l’on nomme parfois « il Padrino » a d’abord quitté sa vallée pour parcourir l’Europe pendant une dizaine d’années en qualité d’architecte-conseil auprès de Gherzi Organisation. Lorsqu’on lui propose un emploi aux USA, il y a renoncé, préférant rentrer dans sa vallée en 1965 dans sa 35ème année. Tout ce qui touche de près ou de loin le Val d’Anniviers l’intéressait : outre ses activités de promoteur, il est à l’origine avec Jules Zufferey des étables en consortage. Il a en plus participé activement à la centralisation scolaire d’Anniviers et a été très favorable à la fusion des six communes de la vallée. Doté d’une large ouverture d’esprit, il a été cofondateur et coliquidateur du « Journal du Valais », qui voulait apporter à la population une vision différente de la presse unique d’un conservatisme et d’une emprise religieuse excessive.

Au niveau des loisirs, Urbain a un peu succombé à la « funeste passion des reines » selon l’expression de l’ancien Conseiller d’Etat Guy Genoud. Cette passion, il l’a transmise à son fils adoptif Philippe, informaticien. Epoux de Nelly née Saelens, Urbain est le père de Jean, architecte EPFL, et de Michèle, psychologue malheureusement décédée en 1995 à l’âge de 36 ans. Le couple est entouré de quatre petites-filles et de deux arrière-petits-enfants. Une autre passion a été la montagne que lui a fait découvrir le guide Joseph Savioz. Urbain compte aussi dans ses amis le sociologue Bernard Crettaz.

Urbain porte aujourd’hui un regard critique sur son action immobilière et reconnaît volontiers avoir fait quelques erreurs mais, au final, selon ce qu’on lui a dit, il semblerait que le développement d’Anniviers soit «acceptable ». Ayant milité pour « une promotion immobilière mesurée et un développement touristique harmonieux », il accorde à Franz Weber et à Maurice Chappaz des qualités de visionnaires et de modérateurs dans le développement de la vallée.

Voici ce que Bernard Crettaz dit dans son essai : "Le curé, le promoteur, la vache, la femme et le président" paru en 2008 aux Editions Porte-plumes (en pages 95 et suivantes) :

Comme il manquait du bétail dans la vallée, les Anniviards achetèrent en masse à l’extérieur. Leur motivation principale étant la passion des reines, ils choisirent surtout des vaches de souche lutteuse (à des prix qui pouvaient être élevés). On pu ainsi voir des architectes, dentistes, gendarmes, enseignants, commerçants, artisans en prospection dans diverses régions du Valais. Et l’on put voir ces mêmes individus, professionnels modernes, conduire leurs vaches aux alpages ou au combat. On nommera les nouveaux venus dans l’alpage les paysans du dimanche ou encore les « faux-vrais » ou les « vrais-faux » paysans, expressions à la connotation péjorative : les Anniviards faisaient parfois rire dans les milieux de l’élevage et dans l’élite politico-économique du canton ; on se moquait allégrement de ces modernisés qui jouaient aux vachers. Comme disait-on ça et là, un Kittel promoteur pouvait-il s’abaisser ainsi, et oser usurper un rôle jusqu’à posséder la reine cantonale, sa Chiquita ? Les Anniviards passaient pour des rigolos, des snobs ou encore de bonnes proies naïves pour qui voulait vendre des vaches à n’importe quel prix. Mais les Anniviards demeurèrent inébranlables et des étables en consortage virent le jour à Grimentz aussi bien qu’à Vissoie, Ayer, Mission, Saint-Luc et Chandolin.

Dans le retour des vaches, il se passa une chose étonnante chez ces paysans du dimanche. Cela concerna d’abord la mémoire. Quand vous avez vécu intensément une activité comme enfant, que vous avez dû l’abandonner, et que vous y revenez, il reste au fond de vous, bien que vous ayez été rendu provisoirement étranger à votre monde d’origine, une dimension intacte, intouchée. Et vous pouvez vous réapproprier le passé par atavisme, par curiosité – par une forme d’innovation que n’ont plus ceux qui étaient demeurés dans le domaine. Cela fit peu à peu des « endimanchés » d’Anniviers de vrais éleveurs. Avec l’aide des anciens et de ce qu’ils avaient « dans le sang », comme ils disaient, ils réapprirent très vite les secrets de l’élevage. D’acheteurs et de « folos des reines », ils devinrent des éleveurs passionnés.

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